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Accaparement de terres à Famienkro : un rapport accablant contre SIAT et le gouvernement ivoirien

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C’est un rapport édifiant publié ce mardi 12 décembre 2017. Le conflit foncier qui oppose l’Etat ivoirien aux communautés de Famienkro (Prikro, ville située à 300 Km d’Abidjan dans le centre de la Côte d’Ivoire), est largement documenté. Pour les auteurs du rapport, il s’agit d’un cas d’accaparement de terres au profit de la multinationale belge SIAT, Société d’investissement pour l’agriculture tropicale.

C’est un rapport accablant pour le gouvernement ivoirien. Le titre est d’ailleurs évocateur : « Conflit foncier en Côte d’Ivoire : les communautés se défendent face à SIAT et l’Etat ». Co-produit par les ONG nationales Initiatives pour le développement communautaire et la conversation de la forêt (IDEF), Jeunes volontaires pour l’environnement (JVE Côte d’Ivoire), le site d’information EBURNIE TODAY et l’organisation internationale GRAIN basée en Espagne, ce rapport dévoile l’implication du gouvernement dans l’accaparement des terres au profit des multinationales de l’agrobusiness. Utile précision : la filiale de SIAT et les autorités locales de Prikro ainsi que le ministère de l’agriculture n’ont jamais répondu aux questions des auteurs du rapport durant leurs recherches.

Après un accord de principe en 2011, le ministère de l’agriculture a signé en septembre 2013 un accord-cadre avec la Compagnie hévéicole de Prikro (CHP), une filiale de la multinationale belge SIAT (Société d’investissement pour l’agriculture tropicale) pour l’attribution d’environ 11 000 hectares de terre agricoles pour le développement de l’hévéaculture industrielle. Les communautés principalement privées de terres ? Les villages de Famienkro, de Koffessou et de Timbo. Le gouvernement réclame la propriété des terres sous prétexte qu’elles ont été mises à la disposition du ministère de l’agriculture en 1979 lors de l’installation du complexe sucrier, SODESUCRE, qui a cessé son exploitation autour de 1982. Les communautés, elles, soutiennent qu’elles ne les ont jamais vendues à l’État. Le rapport apporte un éclairage sans appel sur ce conflit :

« À ce jour, le gouvernement n’a pas produit de documents prouvant que les terres lui ont été concédées par les communautés autochtones, pas plus qu’il n’a fait la preuve d’une purge effective des droits coutumiers des propriétaires fonciers qui s’estiment lésés. La purge des droits coutumiers est le seul acte administratif qui pourrait donner raison à la revendication du gouvernement. La perte du droit coutumier sur des terres entraîne une indemnisation au profit des détenteurs ; mais à Famienkro, aucun détenteur de droits fonciers coutumiers n’a été indemnisé pour la perte du droit sur ses terres en 1979 ».

En clair, concluent les auteurs du rapport, il s’agit d’un cas flagrant d’accaparement de terre. Le roi de Famienkro, Nanan Akou Moro II, jusqu’à ce jour, fervent opposant à ce projet, et qui a été emprisonné au tribunal de M’Bahiakro entre juillet et décembre 2015 à cet effet, continue de réclamer les terres de sa communauté :

« Nos ancêtres sont nés sur ces terres et les ont cultivées pour le seul besoin de se nourrir. Elles n’ont jamais été ni vendues ni troquées. De quel droit peut-on nous priver de nos terres pour les attribuer à autrui ? ».

Les complaintes et l’opposition de cette autorité coutumière, humiliée et bafouée dans son honneur pour la défense des droits de ses populations, ne seront pas entendues.

Expropriation forcée contre agrobusiness

Malgré « l’inexistence » d’un acte de concession, l’Etat parvient à immatriculer en 2015 la parcelle d’environ 11 000 hectares à son nom, contre 5 000 hectares alors exploités par la SODESUCRE. Dans ce bras de fer, la justice va apporter un soutien décisif aux autorités. Dans la bataille judiciaire engagée dès 2013 par les communautés pour réclamer le rétablissement dans leurs droits, le tribunal de M’Bahiakro rend une décision en novembre 2016 qui s’aligne sur la position des autorités. Pour les quatre organisations qui documentent ce cas depuis deux ans, « en s’appropriant les terres des populations de Famienkro, l’État viole également la loi de 1998 sur le domaine foncier rural qui accorde aux communautés un délai de dix ans, c’est-à-dire jusqu’en 2023, pour faire constater les droits coutumiers sur leurs terres ».

Le gouvernement, pour mettre en œuvre son Programme national d’investissement agricole (PNIA) 2012-2015 qui privilégie les partenariats public-privé (PPP), a bafoué les droits les plus élémentaires de ces communautés. La résistance des villageois a fait au moins quatre morts dont deux par balles en juillet 2015 lors d’un soulèvement à Famienkro, quand les forces de l’ordre ont ouvert le feu sur la foule. Expropriation forcée contre agrobusiness. Le risque d’insécurité alimentaire est grand.

« Les communautés sont forcées à laisser leurs terres aux mains des multinationales dont le prétexte est de « nourrir l’Afrique » et lutter contre la faim. La faim ? Il n’en était pas question autrefois, pour les courageux paysans et paysannes des sept villages touchés par le projet d’hévéaculture » de SIAT, explique le rapport.

Les pleurs des communautés de Famienkro seront-ils enfin entendus par le gouvernement, dans ce conflit foncier qui dure depuis 6 ans ?

Anderson Diédri et Traoré Bakary

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