Marche contre les moustiques génétiquement modifiés au Burkina-Faso
Après la marche de 2015 contre les Organismes génétiquement modifiés (OGM) au Burkina-Faso, la société civile a remis le couvert ce 2 juin 2018 à Ouagadougou. Cette année encore : le mot d’ordre est le même : l’arrêt des OGM et du projet de moustiques génétiquement modifiés en expérimentation pour lutter contre le paludisme.
Ils sont venus des quatre coins du Burkina-Faso et d’autres pays : Côte d’Ivoire, Benin, Sénégal, France. Ce samedi 2 juin 2018, sous un soleil de plomb, ils sont vent debout : organisations paysannes, producteurs et productrices, tous sont là pour dire ‘Non aux OGM’. Cette marche-meeting, qui a lieu après celle de 2015, est organisé par le Collectif citoyen pour l’agro-écologie (CCAE), une plateforme de la société civile qui regroupe plusieurs organisations au Burkina-Faso. Sa coordonnatrice, Blandine Sankara, donne le ton :
« sur la base des récentes actualités, nous constatons une volonté de retour des OGM au Burkina notamment le coton OGM, les tests du niébé bt en cours, et comme si cela ne suffisait pas, actuellement dans manipulations dans des laboratoires au Burkina sur des moustiques génétiquement modifiés afin de lutter contre le paludisme ». Elle interpelle les autorités : « le CCAE lance un appel pour que tous les citoyens se mettent ensemble pour éviter le pire et aussi interpeller les autorités burkinabés à beaucoup plus de prudence sur ces questions d’organismes génétiquement modifiés ».
C’est le top départ. A 9 heures 40, les manifestants rassemblés à la place de la nation (située entre la BCEAO et la Cour suprême) prennent la direction du rond point des Nations. Aussitôt, et pour assurer l’ambiance, la foule scande :
« Nous sommes là pour dire au président de la république, aux ministres, aux chercheurs, à Monsanto, à Bayer, que nous sommes contre les OGM ».
Sur les banderoles que tiennent les marcheurs, les messages sont évocateurs : ‘l’agroécologie, une alternative à la faim au Burkina-Faso’, ‘l’agroécologie est la seule alternative pour nourrir sainement et durablement la planète’, ‘Oui à une alimentation saine, pas de niébé bt dans mon assiette, les OGM : les pasteurs et agropasteurs n’en veulent pas’, ‘Monsanto, Target Malaria et Bill Gates : respectez l’Afrique souveraine’, ‘Stop et dégage : OGM, niébé bt, moustique génétiquement modifié’, etc…
En effet, si le Burkina-Faso a abandonné en 2016 le coton bt introduit dans le pays par la firme américaine Monsanto, Target Malaria (projet de moustiques génétiquement modifiés) est un programme de recherche financé notamment par la fondation Bill et Melinda Gates.
Plusieurs pays sont présents à cette marche pour soutenir la société civile burkinabé. Hervé Le Gal, de l’association Ingalan et sa délégation venue de la France, sont là pour apporter leur « soutien » au peuple burkinabé dans la lutte contre les OGM. Car, observe-t-il, celui qui contrôle les semences contrôle l’alimentation. Pour Jean Paul SiKeli, Secrétaire exécutif de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (Copagen), Côte d’Ivoire, est plus offensif : « Ici au Burkina-Faso, la forfaiture s’appelle aussi OGM ».
« Le Burkina-Faso et l’Afrique par extension ne doivent pas être considérés comme un laboratoire ou les peuples africains comme des cobayes. Nous le disons avec insistance, à qui veut et à qui veut l’entendre, nous ne voulons pas des OGM dans nos champs et dans nos assiettes, nous ne voulons pas des moustiques génétiquement modifiés pour soi-disant lutter contre le paludisme. Ce sont de fausses solutions à de vrais problèmes. Nous disons non, nous disons ça suffit », met-il en garde.
Moratoire sur les OGM
En tête du cortège, un camion-podium et les leaders du mouvement. Parmi eux, Christian Legay, coordinateur régional Afrique de l’ouest de l’ONG belge Autre Terre. Appareil photo accroché au cou, casquette sur la tête sous ce soleil qui brille, il rappelle que le coton bt a été une « catastrophe ».
« Actuellement, il y a le niébé bt en station de recherche et on ne sait quand il va pouvoir être diffusé en plein champ avec un risque beaucoup plus grand parce que le niébé est consommé par la population burkinabé et on ne connait pas les conséquences que ça peut avoir sur la santé », s’inquiète cet ingénieur agronome franco-burkinabé. Tout comme il émet des réserves sur le projet Target Malaria. Leur souhait aujourd’hui ? La précaution : prendre du temps pour évaluer les risques « Nous demandons l’arrêt des OGM. On veut un moratoire pendant 10 ans. On n’est pas contre la science », réclame Christian Legay.
En tout cas, à la place des OGM, la société civile préconise une agriculture biologique comme solution. D’ailleurs, dans la foule, des femmes portent sur leurs têtes des cuvettes contenant des légumes, aubergines, salades, tomates, etc., estampillés « produits certifiés biologiques : SPG ». Diarra Ami, productrice de 19 ans, venue de Kaya, localité située à environ 100 km de Ouagadougou, explique : « On a envoyé des légumes de Kaya pour montrer que nous aussi on a des nourritures ici produits par nous-mêmes que nous pouvons consommer sans produits OGM ».
Clémence Saman Lakondé, coordonnatrice du Conseil national pour l’agriculture biologique (CNA-BIO) est présente à cette marche pour exprimer sa réticence : « Les OGM, on connait les conséquences : ça va détruire nos sols, on n’aura pas de sols fertiles, ça veut dire que la production agricole sera menacée, et aussi la santé des consommateurs. Ce sont des raisons qui nous poussent à dire à nos dirigeants de faire attention à ce genre de pratique ».
« Les OGM dans l’alimentation, nous sommes convaincus qu’on en n’a pas vraiment besoin. On a un domaine de production qu’on peut encourager pour atteindre la sécurité alimentaire notamment l’agroécologie et l’agriculture biologique », insiste-t-elle.
Vulgariser l’agroécologie
Et pour vulgariser cette agriculture durable, des initiatives se mettent en place. Salimata Sophie Sedgho, présidente de l’association la Saisonnière, vice-présidente du Conseil national pour l’agriculture biologique (CNA-BIO) Burkina-Faso, explique que son organisation dispose d’un jardin agroécologique (à une cinquantaine de kilomètres de Ouagadougou) où les élèves des écoles environnantes viennent apprendre et se familiariser à l’agriculture biologique.
Objectif de cette éducation : faire en sorte que cette pratique soit davantage vulgariser et permettre de nourrir toute la population. « Donc quand les élèves viennent, ils retournent, en tout cas, avec leurs enseignants, ils créent des jardins pour un double objectif : la pédagogie et améliorer la cantine scolaire. Donc l’avenir de cette agriculture biologique se trouve au niveau des jeunes. C’est sur la bonne pente. Parce que pour tout changement de comportement, quel que soit le temps que ça va prendre, si vous le faites sans les jeunes, vous n’irez nulle part », fait valoir cette professeur de lycées et collèges en Sciences naturelles à la retraite :
« Nous avons confiance qu’avec ce mouvement, on va entraîner d’autres personnes à nous rejoindre pour cette agriculture biologique ».
Un challenge d’autant plus déterminant que, observe Ousmane Tiendrébéogo, Secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de l’agropastoral (SYNTAP), point focal de la Via Campesina au Burkina-Faso, « l’agriculture pour nous ce n’est pas une activité économique, c’est d’abord notre vie. On s’identifie à ça. Une fois qu’on nous enlève l’agriculture, c’est comme si nous asséchons une rivière, c’est que vous voulez en tout cas tuer les poissons ». Et pour ce septuagénaire, très engagé dans la lutte contre les OGM depuis plusieurs années, « on ne pas nous assoir » sans rien faire face à cette menace.
Mémorandum
Après un bref arrêt au rond-point des Nations Unies (un kilomètre plus loin), le cortège est revenu sur ses pas à la place de nation, son point de départ. Là, le Collectif citoyen pour l’agroécologie a remis un momérandum à Traoré Albert, directeur en charge de la vulgarisation de la recherche développement au ministère burkinabé de l’agriculture et de l’aménagement hydraulique. Ce dernier a assuré qu’il transmettra ce document « à qui de droit ».
Pour Ali Tapsoba, porte-parole du CCAE, ce mémorandum résume l’ensemble des inquiétudes et propositions de la société civile (CCAE). Il estime que « l’avènement probable du niébé bt va engendrer une intoxication alimentaire des peuples du Burkina, ça va engendrer une dépendance des communautés de base, ça va grever l’économie locale » et aussi « ça va même créer un frein à la diversité biologique ». En outre, les moustiques génétiquement modifiés « vont grever la santé des burkinabé avec le forçage génétique », soulignant que d’autres solutions existent notamment pour lutter contre le paludisme.
En tout cas, observe-t-il, avec la mobilisation « des milliers de personnes dans les rues de Ouagadougou », l’objectif de faire prendre conscience aux populations est atteint : « pour nous, le plus important, était la mobilisation des communautés paysannes, la mobilisation des consommateurs, la mobilisation des citoyens lambda ». La lutte continue, assure-t-il.
Anderson Diédri, envoyé spécial à Ouagadougou