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Le calvaire sur les routes de l’immigration clandestine

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Prolifération de réseaux de passeurs véreux, trafics de bébés et de documents administratifs, mirage d’un eldorado qui vire à la prostitution sous la contrainte de réseaux de proxénètes… Les routes de l’immigration clandestine sont dangereuses. Et le rêve d’une vie meilleure en Europe ou en occident se transforme en désillusion pour beaucoup de migrants.

Abou Kanté, 16 ans, était inscrit dans un centre de formation de football à Abidjan. Parti de Daloa le 1er mai 2016 pour rejoindre l’Europe via la Méditerrané, son rêve a tourné court. Après avoir déboursé un million de francs Cfa à un passeur à Daloa qui était censé lui assurer le voyage jusqu’en Italie, ce dernier l’abandonne une fois en Libye.

« Le gars, quand on appelle, il refuse de décrocher », raconte Abou.

Mais le jeune est déterminé. Cependant, sans argent, il ne peut continuer le trajet. Alors, il sollicite ses parents en Côte d’Ivoire qui lui envoient 300.000 francs Cfa. Cette somme devait lui permettre d’intégrer un autre réseau de passeurs qui devaient faciliter son voyage vers l’Europe. C’est encore l’échec.

« Après, j’ai travaillé. Je faisais aide-maçon et j’ai eu quelque 2000 dinars (822.359 f Cfa NDLR). Ensuite, je suis allé à Tripoli. Arrivé là-bas, le mari de ma maman m’a envoyé de l’argent. C’est de là-bas que le 14 janvier dernier ils [des libyens] sont venus nous prendre au foyer et nous ont emmenés quelque part. Tout ce qu’on avait sur nous, l’argent, ils ont pris tout (…) Ils nous ont envoyés en prison. On a fait quelque deux mois une semaine », relate Abou.

C’est le 21 mars 2017 qu’il est rapatrié en Côte d’Ivoire. Après avoir déboursé 1,3 million en espérant regagner l’eldorado européen, le jeune homme se retrouve au point de départ : Abidjan !

Le diktat des réseaux de prostitution

La problématique de l’immigration clandestine est préoccupante. C’est un fléau qui frappe particulièrement les femmes, surtout celles à qui l’on fait miroiter une vie meilleure en occident. Mahoua Bakayoko, qui a parcouru plusieurs pays, a pu se rendre compte de la situation préoccupante des femmes migrantes à Riyad (Arabie Saoudite) et au Caire (Egypte).

« Elles y vont pour être des filles de ménage. Elles y vont grâce à des rabatteurs. Ces rabatteuses qui très souvent sont des étudiants sortis de ces universités saoudiennes et égyptiennes qui font le lien et qui les transportent, qui les font partir », décrit cette femme engagée dans la lutte contre l’immigration clandestine.

Mais lorsque les mesures strictes sont mises en place pour décourager ces candidates à l’aventure, celles-ci, aidées par les réseaux qui les recrutent, trouvent des astuces pour les déjouer.

« Parce qu’elles se rendent compte qu’elles ne peuvent plus partir au départ d’Abidjan, alors, elles vont par les aéroports de Bamako ou d’Accra. Il faut aujourd’hui faire une opération pour bloquer ces filles-là et les empêcher de partir », préconise cette écrivaine.

Après avoir quitté leur pays, c’est le calvaire pour ces femmes qui doivent subir le diktat de ceux qui ont organisé leur voyage. Elles vont affronter les pires réalités qu’elles n’ont pas envisagées.

« Le drame c’est quoi ? Souvent, ils prennent déjà un an voir deux ans de salaire. Et quand elles arrivent, elles sont déjà devant le fait accompli. Aujourd’hui, il y a un flux important. On dit immigration clandestine, donc on ne peut pas encore chiffrer mais la réalité est là. Elles y vont sans se rendre compte de ce qui les attend là-bas. Aujourd’hui, elles sont souvent reversées dans les réseaux de prostitution », explique Mahoua Bakayoko.
Le rêve d’une vie meilleure se transforme en cauchemar

Un trafic de bébés qui prend de l’ampleur

Mais la question de l’immigration irrégulière est complexe. Les réseaux qui exploitent cette filière ne manquent pas d’imagination. Un autre phénomène s’est développé : le trafic de bébé. Comme le décrit le journaliste franco-béninois Serges Daniel, présent à Abidjan dans le cadre du forum de la diaspora des 22 et 23 mai 2017, il y a de plus en plus des mineurs qui arrivent en Europe par la Méditerrané. La raison : derrière chaque mineur, s’est développé un système appelé ‘’la traversée contre bébé’’.

« Vous avez des femmes qui tombent enceinte sur les routes de l’immigration clandestine et qui arrivent aux portes de ces Etats comme le Maroc. Lorsqu’elles arrivent là-bas, parce qu’elles sont enceintes, elles sont prises en charge par des ONG car on ne peut pas les refouler. Donc ce que font ces ONG, généralement, c’est de les aider à accoucher. Dès l’instant qu’elles ont des enfants mineurs, elles sont protégées par les lois internationales. Quand elles arrivent à traverser, plus tard, il y a un réseau de passeurs qui récupèrent les enfants parce que c’était le prince de départ. C’est-à-dire on les aide à traverser et en retour elles acceptent de donner leurs enfants et ces réseaux de passeurs revendent ces enfants clandestinement, cette fois-ci par des filières en Europe », décrit Serges Daniel.

La route de l’immigration clandestine ouvre également la voie à des trafics en tout genre, y compris l’établissement de faux documents administratifs. Les ressortissants des pays d’Afrique centrale mettent tous les moyens pour obtenir le passeport camerounais. Ils poursuivent le trajet par le Nigeria pour arriver au Mali grâce à un réseau de trafiquants basé à Lagos, puisqu’il n’y a pas de visa entre le Mali et le Cameroun. Les détenteurs de passeports maliens n’ayant pas besoin de visas pour aller en Algérie, en Tunisie et au Maroc – qui sont les principaux pays de transit – les réseaux y établissent de nouveaux faux passeports.

« Vous avez de faux passeports camerounais et maliens », explique le journaliste qui a sillonné au moins 14 pays africains pour tenter de comprendre ce phénomène migratoire.

Si certains migrants illégaux arrivent à partir en Europe, ce n’est pas le cas pour d’autres, qui sont condamnés à errer dans des pays de transit.

« Dans les pays visités comme l’Algérie ou le Niger, vous avez de très nombreux candidats au départ qui sont en situation de blocage dans ces pays-là. Je pense que si on veut lutter efficacement contre l’immigration clandestine, si on veut relever les dangers de l’immigration clandestine, on sera obligé un jour de tenir compte de tous ceux qui sont en situation d’échec dans ces pays. Ils ne peuvent plus partir, ils ne peuvent plus revenir et ils sont obligés de faire de petits métiers pour survivre dans des conditions inhumaines », fait-il observer.

En tout cas, ce sont toutes ces questions structurelles qu’il faut résoudre si les Etats veulent endiguer le fléau de l’immigration clandestine. A commencer par l’emploi des jeunes. Car, malgré les promesses de réinsertion et d’aide faites par les autorités à Abou Kanté à son départ de la Libye, il « voit qu’il n’y a rien » depuis son arrivée à Abidjan il y a deux mois. Et il pense même à reprendre le chemin de l’immigration clandestine :

« Franchement, cela est présent dans ma tête en tout cas. Parce que quand je suis à la maison, je suis seul comme ça, je pense à ça. Chaque fois que je me connecte sur Facebook je vois mes amis, ils m’envoient les messages, ça me rend bizarre. Souvent, quand je suis couché aussi, je n’arrive pas à dormir ».

Traoré Bakary

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