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Accaparement des terres : ce que cache réellement le procès des femmes d’Aboisso

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Le procès des femmes d’Aboisso n’est que la partie visible d’une situation que vivent de nombreuses populations ivoiriennes. Il s’agit des accaparements de terres qui deviennent de plus en plus fréquents en Côte d’Ivoire. Ange David Baïmey, analyse la face cachée d’un procès qui a opposé le puissant groupe SIFCA à des femmes en situation de vulnérabilité dans le box des accusés. Le chargé des programmes en Afrique pour l’ONG Internationale GRAIN est interrogé par Anderson Diédri.

Eburnie Today : Quatre femmes à Aboisso – dont deux nourrices et une enceinte de 9 mois – viennent d’être condamnées à 10 jours de prison et 100.000 f CFA d’amende pour avoir ramassé des graines de palme sur une parcelle appartenant à la PALMCI, filiale du groupe ivoirien SIFCA. Ce procès n’est-il pas de nouveau le symbole des tensions foncières entre les populations locales et les entreprises agro-industrielles ?

Ange David Baïmey : Oui, ce procès est effectivement ce symbole, celui des tensions foncières entre les populations locales et les entreprises, pas seulement celles du secteur agro-industriel. Au-delà, pour nous en tant qu’organisation de la société civile, c’est un procès qui montre le visage que peuvent avoir les multinationales agro-industrielles. Comme nous l’avons tous constaté lors de ce procès, ces femmes ne sont pas allées prendre chacune d’elle un sac de détritus. Elles ont juste pris quelques graines tombées après la récolte. C’est donc au nom de ces petites graines que l’entreprise a porté plainte et qu’elles se retrouvent en procès. C’est vrai qu’aux dires du procureur l’entreprise a retiré sa plainte mais elles ont été emprisonnées avec leurs enfants et l’une pratiquement sur le point de mettre au monde un enfant.

Ce procès pose la question de la pression foncière : comment PALMCI occupe toutes ces terres au point où les communautés n’arrivent même plus à se nourrir et qu’elles sont obligées de pénétrer sur les concessions de l’entreprise ? Ce procès est donc l’occasion de demander à ce que ces terres soient rétrocédées à ces communautés. Pour ceux qui comme moi ont déjà visité les villages riverains, il y a des cas qui parlent d’eux-mêmes. A titre d’exemple, le village de Yapokro se retrouve au sein des concessions de PALMCI. C’est terrible puisque les populations n’ont plus accès aux terres pour cultiver. Nous interpellons aussi l’Etat de Côte d’Ivoire et les autorités sur cette capacité que les communautés ont aujourd’hui à braver les interdits dans l’objectif d’avoir le minimum vital. Ces femmes ne sont pas allées ramasser ces graines pour les commercialiser mais pour leur pitance. Pour nous organisation de la société civile c’est la question foncière qui est centrale et qui est mis en lumière par ce procès.

E.T : PALMCI dispose de près de 40.000 hectares de terre dans une zone où les populations peinent à vivre correctement de l’agriculture familiale. Au-delà, les populations contestent depuis plusieurs années le mode de cession des terres à cette entreprise sans jamais avoir été entendu. Assistons-nous de nouveau à un cas flagrant d’accaparement des terres ?

ADB : Nous considérons qu’il y a accaparement des terres bien que cette situation d’accaparement date de l’époque des SODE, c’est-à-dire les Sociétés de Développement détenues en son temps pas l’Etat. Je dois vous indiquer qu’il y a beaucoup d’autres cas similaires. C’est une situation d’accaparement des terres parce que jusqu’aujourd’hui les communautés contestent les délimitations, elles contestent l’attribution à PALMCI de ce patrimoine foncier.

C’est donc le lieu de demander qu’une certaine superficie de terre qui continue d’être occupée et utilisée puisse être mis à la disposition de ces populations. Je pense que posséder aujourd’hui 40.000 hectares de terre et voir autour des villages dans la précarité, cela remet en cause un certain nombre de choses indispensables au plan socio-économique. Il y a donc une nécessité de permettre aux communautés d’avoir accès à ces terres pour qu’elles puissent les cultiver et en vivre.

Ange David Baïmey, chargé des programmes en Afrique pour l’ONG Internationale GRAIN

E.T : Lors de ce procès, les populations ont mis en lumière leurs difficultés économiques liées à la présence de cette industrie dans la mesure où elles ne peuvent plus vivre des fruits de la terre. N’est-ce pas là un signe que l’Etat doit revoir le « partage«  des terres pour garantir aux populations leur moyen de survie et de subsistance ?

ADB : Nous n’abordons pas la question sous le prisme du partage. Nous estimons que les communautés ont été victimes d’accaparement des terres dans de nombreux cas. La pratique qui a permis cette situation en défaveur des communautés est notamment la mise à disponibilité de terres. Cependant, il n’y a pas eu dans beaucoup de cas des terres qui ont été concédées. Cela veut dire au regard de la loi foncière que pour avoir ces terres, il faut passer par le paiement de ce qu’on appelle les purges.

Cette procédure n’a pas été faite et ce que nous avons observé c’est qu’il n’y a eu que des dédommagements par rapport aux cultures. Je fais remarquer ici que ces dédommagements ne sont pas des purges de droit : il y a vraiment une grande différence entre ces deux procédures. Les communautés ont donc besoin de ces terres et nous pensons que l’Etat doit être sensible à cette démarche. Elles ont besoin de ces terres pour pratiquer leurs activités agricoles et se nourrir. C’est vraiment important pour la survie des populations et notamment celles qui sont riveraines aux multinationales agro-industrielles qui ont accaparé d’importantes superficies de terre.

E.T : Cette zone d’Aboisso est aussi ciblée par les multinationales de l’hévéa, amenuisant considérablement les terres cultivables pour les populations. N’est-il pas temps pour l’Etat d’entendre la voix des populations pour éviter à l’avenir des crises et tensions plus importantes comme ce fut le cas à Prikro avec l’entreprise Belge CIAT ?

ADB : Oui, il est effectivement temps que l’Etat entende la voix des communautés. Et justement pour le cas de PALMCI, le vrai problème c’est que ces communautés vont continuer d’entrer dans ces espaces. Ce n’est pas la première fois que ces femmes se font arrêter et nous notons que cette fois ci il n’y a pas eu d’abus sexuels. Nous avons eu des témoignages d’abus sexuels et de femmes qui ont été violentés. Ces abus et ces violations des droits de l’homme dont elles sont victimes ne les empêchent pas d’aller de nouveau ramasser ces graines et les brindilles. Ceci démontre clairement leur vulnérabilité, leur précarité.

Le vrai problème c’est aujourd’hui de remettre en cause ce modèle dans lequel une seule entreprise peut continuer à conserver plus de 30.000 hectares de terres pendant que toutes les communautés qui sont riveraines n’ont même pas accès à un ½ hectare de terre pour pratiquer leurs activités agricoles et vendre leurs productions sur le marché local pour couvrir leurs autres besoins (santé, éducation…). C’est donc le lieu de mettre sur la table la problématique de la cohabitation entre d’un côté les communautés et de l’autre ces grandes multinationales qui contrôlent et conservent de vaste entendue de terres au détriment des populations.

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