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Ahua, terre du sel vert !

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A Ahua, village côtier situé à proximité de Jacqueville (60 Km d’Abidjan), les femmes utilisent une méthode révolutionnaire pour lutter contre la déforestation : la production solaire du sel. Reportage.

En 50 ans, la Côte d’Ivoire a perdu près de 90% de ses forêts naturelles. De 16 millions d’hectares de forêt en 1960, le premier producteur mondial de cacao est passé à moins de 3 millions d’hectares aujourd’hui. Cela représente une perte moyenne 250 mille hectares de forêt par an entre 1990 et 2015. L’un des facteurs de cette déforestation accélérée est l’approvisionnement des ménages en énergie de cuisson.

En effet, le bois énergie constitue la principale source domestique de cuisson en Côte d’Ivoire. 87% des ménages utilisent le bois de chauffe (4,6 kg par jour) ou le charbon de bois (2 kg par jour) selon le Centre pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique de la CEDEAO (ECREE). La consommation de bois énergie dépasse aujourd’hui 26 millions de mpar an (la part du bois de chauffe est de 32% contre 68% pour charbon de bois).

Ce qui représente des superficies de forêts dévastées. Le bois de chauffe représente 95% de la consommation d’énergie dans les zones rurales. Pour faire face à la déforestation, un procédé révolutionnaire a été initié à Ahua, village situé à proximité de Jacqueville, ville côtière à 60 Km d’Abidjan. Dans cette zone où il n’y a plus assez de forêt, l’énergie verte vient substituer l’utilisation du bois.

Aux sources du sel vert

Auparavant, pour la production de sel qu’elles commercialisent, les femmes utilisaient d’énormes quantités de bois prélevées dans les forêts ou les mangroves. La production est désormais écologique : elles n’utilisent plus le bois mais l’énergie solaire. Avec des récipients, ces ménagères récupèrent l’eau de mer qu’elles filtrent et le déversent sur des bâches morcelées disposées dans un enclos dressé à une cinquantaine de mètre de la mer.

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Sous l’effet du rayonnement du soleil, il y a l’évaporation et l’eau se transforme au bout de deux jours en sel ‘’vert’’. Ces femmes d’Ahua ont tourné le dos à la destruction du couvert forestier et aux foyers traditionnels qui rendaient pénibles leur tâche.

« Avant, c’était cette méthode-là qu’on utilisait pour produire le sel. On a vu que ça nous fatiguait. Il faut beaucoup de fagot avec de cabosses de coco à mettre dans le feu pour que le feu soit vraiment fort », témoigne Mélaine Neba.

Cette initiative est financée par l’ambassade du Canada en Côte d’Ivoire, à travers le Fonds canadien d’initiatives locales. Une trentaine de femmes regroupée au sein d’une association bénéficient de ce projet qui permet à celles-ci d’avoir des revenus et en même temps de préserver l’environnement par la sauvegarde de la biodiversité.

Promotion des foyers améliorés

L’ONG SOS Forêts accompagne ces femmes dans leurs activités. Objectif : les aider à réduire au minimum la consommation du bois et à lutter contre la déforestation. Pour son président, Dr Mathieu Wadja Egnankou, « ce projet permet de générer des ressources financières pour les femmes, donc réduire la pauvreté ; les femmes deviennent autonomes. Ça permet de lutter contre le changement climatique par la préservation des forêts. Ça permet aussi de gagner beaucoup plus de temps et ça protège la santé ».

Cet enseignant-chercheur à l’université Félix Houphouët-Boigny de Cocody observe que si l’utilisation du bois-énergie ne peut pas être évitée totalement, surtout dans les campagnes, il faut aller vers la réduction drastique des quantités utilisées. Ainsi, 32 foyers améliorés ont été construits dans plusieurs ménages dont trois sur le site de production solaire du sel sur bâche.

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« Il y a des avantages économiques d’abord, parce que ça occupe les femmes. En plus, on a plus besoin d’aller prendre le bois dans les mangroves (…) Dès l’instant où on a les foyers améliorés pour préparer l’eau de mer, ça réduit en tout cas au tiers la consommation du bois. Parce qu’avant, lorsqu’on recueillait l’eau pour préparer, on mettait trois à quatre jours pour pouvoir avoir le sel. Alors que là, en deux jours on a le sel », explique Madame Imboua, de l’association des femmes d’Ahua.

Ces foyers améliorés sont utilisés par les femmes pour leurs activités commerciales (comme la production d’attiéké) et aussi pour les besoins domestiques (faire à manger pour la famille). Cette initiative permet de réduire la pénibilité du travail des femmes et d’emmener celles-ci à tirer profit de leur activité.

« Elles [les femmes] font de l’attiéké qui nécessite beaucoup de bois et elles travaillent par l’utilisation de ce foyer [amélioré] à réduire la pénibilité du travail, à gagner de l’énergie, à gagner du temps et surtout à améliorer leur condition de vie », souligne Awa Ouattara Koffi, agent politique à l’ambassade du Canada en Côte d’Ivoire.

Antoinette Ouattara, présidente du Centre d’alphabétisation pour la promotion de la femme, promotrice de foyers améliorés qui encadre ces femmes dans le cadre de ce projet, assure que « ces foyers améliorés peuvent durer plus de dix ans s’ils sont bien entretenus ».

Sur l’espace qui a été baptisé ‘’site de production solaire du sel sur bâche et de bois énergie’’, 1,5 hectare a été reboisé pour reconstituer le couvert végétal mais aussi pour servir plus tard de bois de feu aux ménages. Pour le chef du village Fabien Gningban Bodo, ce projet « est bienvenu pour sauver le peu de forêt qui nous reste ».

Anderson Diédri, envoyé spécial à Ahua (Jacqueville)

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