‘C’est dans l’intérêt de tous que les élections de 2020 se fassent de façon pacifique’ Joachim Holden
Dans cette interview, Joachim Holden, directeur régional Afrique de l’ouest de la Fondation allemande Friedrich Naumann pour la Liberté, passe en revue ces sujets qui font l’actualité. Il se prononce également sur les élections présidentielles prévues en 2020 et juge qu’il serait « vraiment incompréhensible » de de prendre le « risque » de retomber dans les violences du passé.
Quelles sont les missions de la Fondation Friedrich Naumann ?
La Fondation Friedrich Naumann est une fondation allemande liée au parti libéral allemand. Nous travaillons dans 70 pays dans le monde pour promouvoir les idéaux du libéralisme, c’est-à-dire promouvoir la démocratie, l’économie de marché et en générale une société ouverte.
Quels sont les défis majeurs auxquels sont confrontés les pays dans lesquels vous intervenez en Afrique de l’ouest ?
C’est très difficile de répondre parce que l’Afrique de l’ouest ce n’est pas homogène. Il y a beaucoup de pays qui ont des défis différents. La Côte d’Ivoire, c’est autre chose que le Sénégal ou le Burkina. Donc c’est difficile. Mais de manière générale, dans notre travail, on est confronté très souvent dans la sous-région au fait que les gens ont la perception que la démocratie, le libre marché, la société ouverte, tout ça, c’est contradictoire. Je pense que c’est important de convaincre les gens que la démocratie, libre marché, tout ça, comme on dit en français, c’est le même côté d’une médaille.
Fondation Friedrich Naumann : le numérique au cœur de la nouvelle stratégie
Quelle analyse faites-vous de la gouvernance politique dans la plupart des pays couverts par votre fondation ?
Si je regarde la sous-région un peu, je me répète, nous constatons une démocratie vivante. C’est important d’avoir un gouvernement mais aussi une opposition. L’opposition a un rôle majeur dans une démocratie, de contrôler le gouvernement. C’est un défi de vraiment expliquer cela dans notre travail en promouvant la démocratie libérale. C’est un défi majeur de faire comprendre au système politique dans la sous-région que ce n’est pas seulement le gouvernement qui est important mais aussi l’opposition, et que tout ça fait partie d’une démocratie vivante. Je pense que c’est un défi majeur dans notre travail politique dans la sous-région.
Pour le cas de la Côte d’Ivoire, il y a eu des élections municipales et régionales. Il y a quand même eu quelques contestations de part et d’autre. Quel est votre commentaire ?
Je pense que les institutions de la justice vont avoir le dernier mot sur ça. Je pense que ça aussi c’est absolument correct. Ça fait partie d’une démocratie stable, il y a une indépendance de la justice. Ici, dans ce cas, la justice va décider de ce qui s’est passé. C’est tout à fait correct. Donc il faut attendre cette décision.
Élections locales : entre incidents et doute sur la crédibilité du scrutin
Quel est votre regard sur l’environnement des affaires ?
L’environnement des affaires, je dirai, en général, on voit qu’au niveau des investissements directs étrangers, on a beaucoup de différence dans la sous-région. On voit le Ghana qui a des investissements directs étrangers extrêmement hauts. On voit d’autres pays comme le Burkina, le Mali où ils sont extrêmement bas. Au milieu, le Sénégal un peu, la Côte d’Ivoire pas mal mais peut-être pourrait être mieux. On doit analyser ça je pense. On doit toujours faire plus pour améliorer l’environnement pour les investisseurs, pas seulement pour les investisseurs étrangers mais aussi pour les investisseurs ici [nationaux]. Les entrepreneurs locaux, c’est l’avenir de la sous-région ; Côte d’Ivoire, Sénégal. Notre fondation travaille beaucoup avec de jeunes entrepreneurs ici en Côte d’Ivoire, des startups. Ça c’est quelque chose qui va former énormément l’avenir de la Côte d’Ivoire. Donc il faut leur donner le soutien le plus important pour qu’ils puissent se développer. Ça veut dire qu’on doit peut-être créer une administration légère et une fiscalité qui donne certains avantages aux petits entrepreneurs quand ils sont toujours dans la phase de naissance. Et il y a plusieurs options que l’Etat met en œuvre actuellement pour améliorer l’environnement des affaires. Chaque pays doit avoir ça pour lui-même mais je pense aussi ici en Côte d’Ivoire, il reste encore des possibilités de faire mieux.
Célébration des 5 ans du C2D : Gon Coulibaly se débat face à la société civile
Un autre sujet important pour votre fondation, c’est la liberté des médias et la question du numérique…
On le voit dans tout le monde. Ce n’est pas l’Afrique ou l’Asie ou l’Amérique latine, c’est aussi en Europe ou en Amérique du nord. On voit qu’on entre dans une phase où on ne peut plus vraiment différencier entre des médias officiels des nouvelles qui sont plus ou moins graves ou les fameuses fake news. Et ça c’est très dangereux pour notre système démocratique en général et c’est encore plus dangereux dans les régions où l’éducation en général est plus bas que dans d’autres régions. Le problème, il n’y a pas une solution. Si j’avais une solution on me donnerait le prix Nobel probablement. Ça c’est quelque chose qui va nous accompagner pour les prochains 20 ans, 30 ans. Que les gens fassent leur choix pour leur propre type d’information à travers les médias sociaux, ils choisissent leur propre type d’information, ce qu’ils veulent avoir, ce qui les intéresse. Il y a les fake news et je pense que tous les journalistes devraient combattre cela avec leur propre éthique. On ne peut pas avoir la liberté de presse et de l’autre côté interdire les médias sociaux. Pour nous libéraux, la liberté de presse c’est une des conditions les plus importantes de notre travail. Je ne vois pas une solution immédiate pour ça. A long terme, je peux seulement dire éducation, éducation pour différencier entre les fake news et les médias officiels.
La fondation Friedrich Naumann forme des journalistes africains en Allemagne
Sur cette question des fake news, il y a certains pays qui ont décidé de légiférer, donc de faire des lois. Est-ce que pensez-vous que c’est une meilleure option pour combattre les fake news ou comme vous l’avez dit à l’instant, il faut plutôt mettre l’accent sur l’éducation aux médias ?
La question de l’éducation aux médias c’est probablement le plus important. Mais concernant la loi, oui je pense qu’elle peut être une solution dans certains pays si la loi est faite d’une manière démocratique via le parlement, ça peut être une solution temporaire. On sait que dans certains pays les fake news peuvent avoir des conséquences graves, elles peuvent même commencer des guerres civiles parfois. J’avais travaillé en Afghanistan, là-bas aussi on a un grave problème avec les médias sociaux qui sont influencés par les islamistes. Et jusqu’à maintenant on n’a pas de recette contre. Donc si une démocratie veut se défendre contre ça et si les lois sont bien faites, de façon démocratique, ça peut être une solution temporaire mais à long terme, c’est l’éducation qui peut supporter. On doit éduquer.
Il y a une autre thématique pour laquelle on n’a pas aussi de remède, c’est la question de l’immigration irrégulière. Alors, qu’est-ce qu’il faut faire ?
A mon avis, l’immigration irrégulière, on doit le transformer en immigration régulière. On a certains pays en Europe qui ont besoin des immigrants qui sont qualifiés. S’il y a des gens qui veulent immigrer en Europe, il faut le faire de façon régulière, de façon légale avec tous les supports qu’on peut lui donner. Je pense que l’Allemagne doit comprendre qu’elle est devenue un pays d’immigrants. Déjà depuis 15 ans, depuis 20 ans, nous sommes devenus un pays d’immigrants. Mais ça prend du temps pour la population de comprendre parce que nous ne sommes pas un pays classique d’immigration comme les Etats-Unis, le Canada, l’Australie. Mais ça va venir, on ira vers ça. C’est vrai pour l’Allemagne comme pour d’autres pays de l’Europe. Donc on doit adapter la législation qui nous permette une immigration régulière et légale pour l’avenir parce qu’on a besoin de ça et aussi parce que c’est une tendance inévitable.
Quel travail fait la fondation pour relever les défis que vous avez évoqués en Afrique de l’ouest ?
On travaille avec une perspective de long terme. Avec des objectifs très abstraits comme la démocratie, l’économie de libre marché, ce sont des objectifs qui sont vraiment des perspectives à long terme. Je pense que la côte d’ivoire s’est développée beaucoup ces dernières années si on regarde la croissance économique mais il y a toujours des choses qui ne sont pas parfaites. Notre travail ici est basé sur trois axes : la promotion des droits de l’homme en général. Droit de l’homme ça veut dire promouvoir le système démocratique. Le deuxième axe est lié un peu au travail politique qu’on fait avec notre partenaire libéral et le troisième axe c’est d’appuyer les entrepreneurs spécialement les jeunes entrepreneurs, les start up parce que c’est l’avenir d’un pays. En Côte d’Ivoire, il y a une scène très vivante de jeunes entrepreneurs et c’est très très important pour le développement du pays. Parce que, comme je l’ai dit, ce n’est pas seulement les investissements de l’étranger mais c’est l’entrepreneuriat local même qui va faire avancer le pays. Je prends une petite comparaison avec l’Allemagne, même si ce n’est pas vraiment le même cas. Vous connaissez tous de grandes entreprises allemandes comme Mercedes, Siemens, BMW, Volkswagen. Mais si on regarde l’économie allemande, elle n’est pas basée sur les grandes entreprises, les sociétés anonymes. La puissance de l’économie allemande, ce sont les milliers et les milliers de petites et moyennes entreprises avec 10 employés, 20 employés, peut-être 100 employés. Mais ça c’est vraiment le cœur de l’économie allemande. C’est ce qui fait que l’Allemagne est très forte économiquement dans le monde. Donc pour ça, on a aussi dans la philosophie de la fondation d’appuyer les petites et moyennes entreprises et on favorise les jeunes entrepreneurs qui vont encore grandir parce que c’est une contribution évaluable pour l’économie du pays.
5ème bougie du retour de la Fondation Friedrich Naumann en Côte d’Ivoire
Tout à l’heure vous parliez de votre partenaire politique qui est le RDR ici en Côte d’Ivoire, alors le RDR ira en janvier 2019 à un congrès constitutif avec d’autres partis politiques pour la création d’un parti unifié appelé RHDP. Quel commentaire faites-vous de cette situation et quel sera votre collaboration ?
Vraiment ce n’est pas à moi de juger ou de faire une analyse de l’avenir du RDR. Je pense que si le RDR va faire son grand congrès en janvier, ça va se transformer en un parti plus grand et un autre nom. C’est tout à fait légitime de se mettre en marche dans la perspective de l’élection de 2020. Je pense que c’est normal dans une démocratie que les partis politiques s’adaptent à la situation. Notre partenaire, oui c’est vrai, on travaille avec le RDR. Le RDR est membre de l’international libéral donc c’est automatiquement un partenaire pour nous. Je pense que le futur parti sera pour nous le premier partenaire et jusqu’à maintenant, je ne vois pas une raison pour ne pas continuer cette collaboration. Nous sommes tous des libéraux. Ce n’est pas seulement notre travail avec les partis politiques mais aussi notre travail avec les entrepreneurs et les organisations de défense de droit de l’homme, c’est toujours dans la pensée libérale. Ce n’est pas seulement politique. C’est une idéologie donc c’est lié à différents groupes de la société, pas seulement la politique.
La Côte d’Ivoire va aller à une élection présidentielle en 2020 et compte tenu des précédentes crises post électorales, certains ont des craintes. Comment voyez-vous les élections présidentielles à venir au regard de la situation politique actuelle et est-ce que la fondation va mener ou mène des initiatives pour pouvoir contribuer à des élections ouvertes, transparentes et apaisées en 2020 ?
Notre travail n’est pas fixé sur les élections. Ce n’est pas notre travail d’appuyer des partis politiques pour des élections. Non. On ne fait pas ça. Nous on supporte des partenaires qui épousent notre idéologie, l’idéologie libérale. Et cela comprend aussi la tolérance politique, ça veut dire être dans un gouvernement ou être dans l’opposition. Tout ça fait partie d’une démocratie vivante et j’espère que les ivoiriens vont prendre cela à cœur. La violence n’est jamais une bonne solution ni pour la politique ni pour autre chose. La Côte d’Ivoire est arrivée ces dernières années à donner une bonne image, à faire beaucoup de progrès. Il serait vraiment incompréhensible de mettre à risque tout ce qu’on a achevé les dernières années. Donc je pense que c’est dans l’intérêt de tout le monde, de tous les partis politiques et des secteurs de la société que les élections se fassent de façon pacifique, légale et avec des résultats qui sont acceptés par tout le monde et tout le monde montre cette tolérance. Et avec ça la Côte d’Ivoire va regagner sa place comme vraiment un pays démocratiquement sûr, une économie puissante. Je pense que c’est ce que la Côte d’Ivoire avait dans les années 70-80. Ça serait très bien de continuer sur ce chemin.
Quels sont vos perspectives pour 2019 en l’Afrique de l’ouest et en Côte d’Ivoire en particulier ?
Nous allons continuer notre travail sur les trois axes que j’ai déjà mentionnés. Travailler dans la politique, promouvoir la démocratie libérale avec les droits de l’homme. Aussi travailler avec l’entrepreneuriat. Promouvoir les petites et moyennes entreprises, les jeunes entrepreneurs, les startups. Mais le travail depuis Abidjan aura dans l’avenir une perspective plus régionale. Donc on peut aussi promouvoir à partir d’Abidjan le travail dans les pays voisins comme le Burkina-Faso, le Ghana. Je vois un peu notre bureau ici à Abidjan comme un hub pour certains pays de la sous-région. Ça sera un défi mais je pense que c’est nécessaire. Parce qu’on est dans la région CEDEAO et les frontières n’existent plus sous la même forme comme elles ont existé il y a 30 ou 40 ans. Donc c’est pour nous en tant que fondation de donner une perspective plus régionale à notre travail. Je pense que notre bureau d’Abidjan est une très bonne infrastructure pour devenir un hub pour la sous-région.
Propos recueillis par Anderson Diédri