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Chômage en Côte d’Ivoire : quels sont les vrais chiffres ?

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L’annonce du taux de chômage en Côte d’Ivoire par Sidi Tiémoko Touré, ministre de la Promotion de la jeunesse, de l’emploi des jeunes et du service Civique le jeudi 6 juillet 2017 lors d’un discours a suscité plusieurs réactions. Quelle est la réalité des chiffres ?

Après la signature d’une convention entre l’Agence Emploi Jeunes et la Fédération ivoirienne des PME (FIPME) afin de réduire le taux de chômage, le ministre Sidi Touré annonçait :

« Les statistiques récentes sur le marché du travail révèlent un faible taux de chômage estimé à 2,8% en 2016 contre 5,3% selon l’enquête emploi de 2013. Ces données bien qu’encourageantes indiquent que ce sont les jeunes qui sont les plus concernés par cette situation de vulnérabilité face à l’emploi ».

Ces statistiques récentes dont parle le ministre sont les résultats de l’Enquête emploi 2016, qui selon une source à la Direction générale de l’emploi, doit être « adopté » par le gouvernement ce mois de juillet. Un taux de chômage à 2,8%, voici un chiffre qui fait envier n’importe quel pays dans un contexte économique mondial marqué par un chômage assez inquiétant dans plusieurs Nations même celles affichant depuis ces dix dernières années une certaine santé économique. En effet, la Banque Mondiale indique qu’en 2016, le taux de chômage mondial était de 5,748%, soit une hausse de 0,034% par rapport à 2015 (5,714%).

Chômage, total (% de la population), données : Banque Mondiale (estimation modélisée OIT), Graphique, Eburnie Today

La Côte d’Ivoire devait être plus que fière de son taux de « chômage si bas » cependant à peine ce chiffre avancé par le ministre de la Promotion de la jeunesse, de l’emploi des jeunes et du service Civique que les réactions d’opposition ont commencé à fuser de toutes parts principalement sur les réseaux sociaux. Ces réactions que d’aucun qualifierait de subjectives sont en réalité révélateur de ce que pensent certains analystes.

Divergences d’opinions

Face aux chiffres du chômage que le gouvernement ivoirien s’apprête à « adopter », Paul Bilé, entrepreneur, s’interroge sur le processus de cette étude dont parle le ministre : « quelles sont vos variables mais également la méthodologie adoptée pour cette étude ? Même au Etats–unis, en France, en Angleterre, en Russie, le chômage est au-dessus de 10% ».

Aimé Kouassi, homme de média, reste lui aussi dubitatif devant ces chiffres : « ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le pouvoir manipule ce chiffre sur le chômage, mais l’évidence est implacable ». Yacouba Doumbia, lui opte pour le bénéfice du doute.

« Loin de moi l’idée de défendre le ministre. Tout est une question de définition des termes selon les normes internationales. Qu’est-ce que le chômage ? Qui est chômeur et qui ne l’est pas ? Tant que nous prendrons nos perceptions pour des normes, nous menons un faux débat. Je pense humblement qu’en Afrique généralement et particulièrement en Côte d’Ivoire, nous avons plus un problème de sous-emploi ».

Selon lui, le vendeur ambulant de café estime qu’il ne travaille pas et qu’il se débrouille. Idem pour le gérant de cabine et l’éboueur. Pour lui, il faudrait d’abord définir le travail et étudier tous ces différents cas avec minutie.

Un exercice visant à donner une définition consensuelle au « travail » pourrait prêter à différentes interprétations. Nous nous attarderons un peu plus sur la définition du « chômeur » pour rester dans le vif du sujet. En application de la définition internationale adoptée en 1982 par le Bureau international du travail (BIT), un chômeur est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui répond simultanément à trois conditions :

  • Être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant une semaine de référence,
  • Être disponible pour un emploi dans les 15 jours,
  • Avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.
Le gérant de cabine téléphonique diplômé d’une Université peut-il être considéré comme un travailleur ?

C’est donc sur la base de cette norme internationale, que le taux de chômage est calculé au sein de la population active par le BIT ; chaque pays ayant le droit et la liberté de l’adapter à son contexte socio-économique. C’est d’ailleurs sur la base de ces normes internationales qu’en 2014 le Gouvernement ivoirien a tenté de faire un diagnostic clair de la situation de l’emploi en Côte d’Ivoire.

Ce que disait le gouvernement en 2014

Après une étude réalisée, selon « les normes en matière de statistique de travail », avec des acteurs nationaux et partenaires au développement en 2012 afin de déterminer la situation de l’emploi en 2013, Bruno Koné, porte-parole du gouvernement annonçait le 17 décembre 2014 que « le taux de chômage, calculé selon les standards internationaux ressort à 5,3% ».

Cependant, précisait-il, en tenant compte de certaines réalités sociologiques de la Côte d’Ivoire, « ce taux ressortirait à 9,4% après l’extension de la définition internationale aux chômeurs qui ne sont pas en recherches actives d’un emploi et à 26,5% après la prise en compte de cette dernière catégorie d’un et des travailleurs en situation sous-emploi ».

L’étude, selon Bruno Koné, avait été réalisée sur un échantillon de 12.000 ménages tirés de manière aléatoire à partir des données RGPH (Recensement général de la population et de l’habitat) de 1998 et estimait « la population en âge de travailler à 56% de main d’œuvre contre 44% pour la population hors main-d’œuvre ». C’est d’ailleurs ces mêmes chiffres sur le chômage que le Gouvernement Ivoirien confirmera en 2015 lors du bilan du mandat présidentielle d’Alassane Ouattara sur la période 2011 – 2015. Ce bilan fortement contesté par l’opposition ivoirienne crédite président Ouattara d’un total de 1.376.157 emplois crées dont 1.300.000 emplois rurauxun chiffre révélé par le chef de l’Etat ivoirien lors du 55ème anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire.

Bilan 2011 – 2015 du Gouvernement Ivoirien

En restant donc fidèle aux « standards internationaux », la Côte d’Ivoire est bien loin d’afficher un taux de chômage à 2,8% pour l’année 2016. Les chiffres consolidés par l’Organisation internationale du travail (OIT) et publiés sur le site de la Banque Mondiale sont diamétralement opposés à ceux avancés par le Gouvernement ivoirien. Le taux de chômage en Côte d’Ivoire (chômage total % de la population), plafonne à 9,3%. Le chômage au sein de la population active féminine est de 11%, 8,3% chez les hommes et de 11,3% pour les jeunes hommes de 15 à 24 ans.

Toujours selon les statistiques de l’OIT, les seuls pays d’Afrique de l’ouest qui affichent les taux de chômage les plus bas en Afrique de l’ouest sont le Niger 2,6% et le Bénin 1% ! La Côte d’Ivoire ne figure pas dans ce peloton de tête puisque devancée par des pays comme le Burkina Faso (3%) ou le Ghana (5,8%).

La position d’économiste

Le 2 mai 2016, deux ans après les propos du porte-parole du gouvernement et un an avant les propos de Sidi Touré, Germain Kramo, chercheur au Centre ivoirien de recherches économiques et sociales (Cires) s’inquiétait, dans une interview à lemonde.fr, du risque d’avoir une future Côte d’Ivoire à deux vitesses.

« Le taux de chômage est élevé, autour de 25%. Les projections montrent que 350.000 nouveaux travailleurs vont arriver sur le marché de l’emploi chaque année. A ce rythme, la population active atteindra les 22 millions en 2025. C’est 40% de plus qu’aujourd’hui »expliquait l’économiste.

Germain Kramo précisait que « depuis 2012, la pauvreté baisse d’à peine 0,3% pour chaque point de croissance gagné. C’est faible ! Tant que les fruits de la croissance ne seront pas partagés, les pauvres continueront à rester pauvre ».

D’autant plus que le sous-emploi représente une part importante dans les statistiques. En clair, la plupart des emplois créés sont précaires. Le ministre Sidi Touré assurait en janvier dernier que 600.000 emplois ont été créés sur l’année 2016. A lire sur le sujet Côte d’Ivoire : 600.000 emplois créés en 2016.

Les autorités assurent que la Politique nationale de l’emploi (PNE) a généré 2 021 168 emplois de 2011 à 2015. « Il y a environ 91% d’emplois dans l’informel sur les deux millions d’emplois créés », admet au magazine Émergence Économique, Anza Kouakou, de la Direction générale de l’emploi. Il y a donc urgence à agir, au-delà des statistiques, pour offrir des emplois décents aux jeunes qui représentent 77% de la population ivoirienne.

Raïssa Yao

*estimation modélisée OIT

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