Economie

Commerce équitable : défis et opportunités pour la Côte d’Ivoire

Le monde célèbre le 1er octobre la Journée mondiale du cacao et du chocolat (World Cocoa & Chocolate Day). Une journée instaurée entre autres par l’Organisation internationale du cacao (International Cocoa Organisation, ICCO). « L’objectif de cette journée est d’éveiller la conscience du public à l’égard des conditions de vie des cacaoculteurs et de contribuer en commun à une industrie chocolatière durable ». En prélude à cette célébration, Eburnie Today publie une série d’articles sur le cacao en Côte d’Ivoire en donnant la parole aux hommes et aux femmes qui interviennent dans la filière. Le premier article de cette série s’intéresse à une notion largement relayée par les médias au cours de l’année 2023. Il s’agit du commerce équitable dans la cacaoculture. Que renferme cette notion et comment s’applique le commerce équitable dans le milieu du cacao ? Explication avec des spécialistes du commerce équitable.

En 2001, les fédérations internationales du commerce équitable les plus représentatives à savoir la World Fair Trade Organisation (WFTO), la Fairtrade International et l’European Fair Trade Association (EFTA) ont proposé une définition commune du commerce équitable. Il s’agit d’un partenariat commercial fondé sur les valeurs de dialogue, de coopération, de transparence et de respect, qui vise à atteindre une plus grande équité dans les relations commerciales mondiales. Il permet d’offrir de meilleures conditions commerciales et des prix justes aux producteurs et contribue au développement durable, tant sur les aspects sociaux, environnementaux, qu’économiques.

« Il faut d’abord clarifier ce concept de commerce équitable qui est un concept qui émane du secteur privé et qui a pour objectif premier de réduire les inégalités observées en garantissant à tout producteur, qui satisfait aux exigences mentionnées dans un cahier de charge ou référentiel, une rémunération juste de son travail dans un cadre social et environnemental mieux préservé » tient à préciser Pauline Zéi, Directrice de INADES formation Côte d’Ivoire.

Ces prix rémunérateurs permettent aux producteurs de vivre dignement de leur travail, mais aussi d’investir dans la transformation de leurs modes de production afin qu’ils soient respectueux de l’environnement et de la biodiversité. Le commerce équitable loin d’être un simple partenariat économique, est avant tout un mouvement socio-économique qui prône une vision de la société basée sur les valeurs du respect, du dialogue, de la coopération et de la transparence.

« Le commerce équitable fait contraste avec le commerce traditionnel : plutôt que d’obéir à des règles de marché déconnectées du réel et inéquitables, il bâtit des relations commerciales de longue durée qui garantissent des prix plus élevés que les prix du marché et négociés entre les producteurs et les acheteurs. Ce fonctionnement permet de mettre les producteurs directement en contact avec les acheteurs, limite le recours aux intermédiaires (traceurs, transporteurs, traders) et évite une dilution de la valeur ajoutée auprès d’autres acteurs » nous explique Margaux Dubois, Chargée d’études et de plaidoyer cacao durable et équitable à Commerce Équitable France.

Dans son application pratique, le commerce équitable se présente comme un mécanisme de coopération gagnant-gagnant qui s’appuie sur des partenariats commerciaux de longue durée. Ces partenariats se matérialisent par des contrats pluriannuels entre les producteurs et les acheteurs autour du respect d’une meilleure rémunération. Cependant, en dehors d’un prix juste garanti aux producteurs rassemblés en coopératives, ils peuvent également bénéficier du versement d’un montant supplémentaire (prime de développement) qui permet de financer des projets locaux et collectifs. Plusieurs grandes marques et multinationales comme Tony’s Factory, Nestlé Nespresso ou Ben & Jerry’s se sont engagées dans ce partenariat.

Le produit le plus certifié commerce équitable en Côte d’Ivoire est le cacao (photo DR)

« Les objectifs du commerce équitable rejoignent ceux du développement durable, qui doivent permettre de répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs (Rapport Brundtland, 1987). Autrement dit, la croissance économique ne doit pas se faire au détriment des besoins sociaux et environnementaux des producteurs et travailleurs » précise Valéria Rodriguez, porte-parole Max Havelaar.

Elle ajoute que « grâce à l’équité et la stabilité de leurs revenus, les paysans peuvent améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs communautés (habitat, soins de santé, scolarisation des enfants…). Unis dans des organisations collectives – les coopératives –, ils reçoivent en outre une prime de développement qui leur permet de mettre en œuvre des projets sociaux, développer des programmes de formation ou investir dans des équipements ».

Un modèle profitable à tous

Contrairement aux idées reçues, les producteurs ne sont pas les seuls bénéficiaires du commerce équitable. Chaque acteur de la chaine tire profit du respect de ses engagements. La contractualisation pluriannuelle assure aux grandes marques et aux multinationales un accès privilégié aux productions qui ont une traçabilité. Il s’agit principalement de productions respectueuses de l’environnement et qui ne sont pas le fruit du travail des enfants. Les acheteurs de leur côté voient leurs approvisionnements sécurisés sur plusieurs années.

Les pays qui exportent des produits certifiés commerce équitable ont la confiance des partenaires internationaux : ils deviennent des modèles de transparence et des destinations privilégiées pour de nouveaux clients. Les producteurs perçoivent une rémunération juste pour leur travail et les consommateurs qui souhaitent consommer de manière responsable trouvent dans leurs rayons et sur leurs tables des produits en qui ils ont pleinement confiance.

Les produits du commerce équitable portent unde confiance pour le consommateur (photo DR)

Le commerce équitable est pratiqué dans de nombreux pays africains et la Côte d’Ivoire n’est pas en reste. Selon les spécialistes, le commerce équitable a un fort potentiel de développement dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, premier exportateur mondial de cacao et de noix de cajou. En 2018 près de 200 coopératives, rassemblant plus de 120.000 producteurs étaient certifiées commerce équitable en Côte d’Ivoire en 2018, contre une seule en 2004. En 2023 le nombre de coopératives certifiées commerce équitable est de 260 pour plus de 200.000 producteurs.

Plusieurs produits sont certifiés commerce équitable en Côte d’Ivoire, principalement les filières café, anacarde (noix de cajou), miel et fruits (banane, mangue). Cependant le produit le plus certifié reste bien évidemment le cacao. Les volumes de cacao vendus aux conditions du commerce équitable sont passés de Vingt-cinq (25) tonnes en 2004 à plus de deux cent cinquante mille (250.000) tonnes en 2020.

Marie-Thérèse Tanoh, coordonnatrice du Réseau Ivoirien du Commerce Equitable (RICE) nous informe que « le commerce équitable en Côte d’Ivoire est organisé autour de plusieurs acteurs que sont les producteurs et leurs organisations, les organismes de certification, les exportateurs et l’association des producteurs certifiés tel que le Réseau Ivoirien du Commerce Equitable (RICE). Il faut noter que le commerce équitable compte quatre principaux labels, à savoir Fairtrade, Fair For Life, Symbole des Petits Producteurs et World Fair Trade Organisation. Le label le plus connu en côte d’Ivoire est Fairtrade ».

Plusieurs produits sont certifiés commerce équitable en Côte d’Ivoire comme les fruits (photo DR)

Dans la pratique, les producteurs ivoiriens certifiés commerce équitable s’engagent à produire de manière durable selon les critères ou standards définit dans les cahiers de charges des organismes de certification. En contrepartie, les producteurs reçoivent une prime qu’ils investissent dans leurs exploitations et leur bien-être. De plus, les organisations de producteurs certifiées Fairtrade par exemple, bénéficient de programmes de renforcement des capacités sur les standards du label, mise en œuvre par une représentation de Fairtrade en Côte d’Ivoire. Cela leur permet d’être plus professionnelles et mieux structurées.

« Lorsque les organisations de producteurs obtiennent un certificat de l’un des labels du commerce équitable, elles intègrent le RICE, dont la mission principale est de défendre l’intérêt des producteurs certifiés auprès des institutions publiques et privées. Enfin, les partenaires commerciaux (exportateurs, transformateurs) des coopératives agricoles certifiées détiennent également un certificat qui leur permet de s’approvisionner en produits équitables » fait comprendre Marie-Thérèse Tanoh.

Le commerce équitable fait donc cohabiter de puissantes multinationales d’un côté et de l’autre des producteurs, coopératives et communautés qui n’ont pas forcément les moyens de défendre leurs droits. Or le respect des engagements pris dans le cadre du commerce équitable incombe aux parties prenantes : par exemple la Société Coopérative et l’Exportateur. « L’un des défis du commerce équitable, c’est le respect des engagements par les multinationales. Dans le système, les producteurs doivent investir pour respecter les exigences du commerce équitable. En contrepartie, leur production sont achetées avec une prime. Aujourd’hui, il y a un grand nombre d’organisations de producteurs certifiés commerce équitable qui ne parviennent pas à vendre l’ensemble des volumes produits dans le système. Ce qui fait que ces producteurs ne peuvent pas bénéficier des primes » se désole Traoré Bakary, Directeur exécutif de l’ONG IDEF (Initiatives pour le Développement communautaire et la conservation de la Forêt).

Comment s’assurer que les producteurs arrivent à tirer un réel profit du commerce équitable et que les engagements pris par les multinationales sont effectivement respectés ? « C’est à ce niveau que l’observation indépendante menée par la société civile doit intervenir afin d’interpeller chaque partenaire en cas de violation des engagements » recommande Pauline Zéi, Directrice de INADES formation Côte d’Ivoire. En Côte d’Ivoire dans la filière cacao par exemple, « la Plateforme Ivoirienne pour le Cacao Durable, qui comprend à la fois des Organisations de Producteurs de cacao et des ONG ; est engagée dans un plaidoyer pour l’amélioration des pratiques d’achats dans la filière cacao pour des prix rémunérateurs et des conditions contractuelles plus avantageuses pour les producteurs et leurs organisations » souligne Pauline Zéi.

Si le commerce équitable veut continuer d’être une relation commerciale durable, saine et basée sur la confiance entre les producteurs et les acheteurs en Côte d’Ivoire, il va falloir jouer la carte de la transparence en permettant l’accès de toutes les parties prenantes aux contrats et aux montants des primes ainsi que les modalités de rémunération préconise Traoré Bakary. « De nombreux plaidoyers sont menés dans ce sens. Mais rien ne change pour l’instant. Il faudrait sans doute changer de stratégie et organiser des actions de terrain pour se faire entendre » conclut le Directeur exécutif de l’ONG IDEF.

Suy Kahofi

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