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Aller simple pour Lagos : les PDG font la loi sous fond de corruption !

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Le long du corridor Abidjan-Lagos, les Policiers, Douaniers et Gendarmes (PDG) ont créé une économie parallèle basée sur le racket des voyageurs, des commerçants et des transporteurs. Une promotion de la corruption aux frontières qui entraîne des pertes économiques importantes et constitue une violation du protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des biens.

Noé, extrême sud-est de la Côte d’Ivoire, la dernière station avant le Ghana. Du balcon de la bâtisse à deux étages où nous avons fait escale nous pouvons voir les premières habitations d’Elibou en terre ghanéenne. Les voyageurs s’activent sur la petite gare routière avant le grand départ. Certains iront vers Cotonou, d’autres plus loin vers Lagos ou bien plus près à Sekondi Takoradi ou Accra. Des périples aux motifs divers mais avec une même réalité : des actes de racket omniprésents et des entraves à la libre circulation des personnes et des biens. En effet, rares sont les voyageurs qui n’ont jamais été victimes ou témoins d’un acte de racket sur cet axe long de « 1.022 kilomètres et qui est utilisé par un peu plus 47 millions de personne (population en transit) chaque année » précise Koné Idrissa, secrétaire exécutif de l’Organisation du Corridor Abidjan-Lagos (OCAL).

C’est l’axe routier le plus important de la CEDEAO et il draine à lui seul 75% des échanges économiques de l’espace communautaire. Partagé par 5 pays avec 8 frontières, la population résidente du corridor est estimé à 30 millions d’habitants ! Malheureusement, les actes de racket des hommes en uniforme ne facilitent pas les échanges et les déplacements entre les cinq pays qui se partagent le corridor. Voyageurs, transporteurs, commerçants et compagnies de transport vivent tous le même calvaire.

« Je suis un habitué du corridor et je dois vous avouer que pour passer chaque poste à une frontière vous devez verser de l’argent aux PDG » témoigne Yao Ferdinand agent d’une compagnie de transport.

Les PDG, ce sont les Policiers, Douaniers et Gendarmes qui font la pluie et le beau temps de la Côte d’Ivoire au Nigéria. C’est sur la gare des taxis-brousse reliant Lomé à Cotonou à une centaine de mètre de la frontière Ghana-Togo que nous retrouvons Yao Ferdinand. La nuit n’a pas été facile pour le jeune homme qui depuis Elibou (frontière Côte d’Ivoire-Ghana) ne cesse de vider ses poches pour remplir celles des PDG. Pour être enregistré comme ‘immigré’ traversant le Ghana l’agent de la compagnie de transport s’est acquitté de 2000 f CFA : 1000 f à Elibou et 1000 f à Aflao.

« J’entre en territoire togolais : je dois payer 1000 f CFA pour qu’on me mette le cachet dans mon passeport qui est bien sûr valide. Juste après la police, des agents de santé me retiennent : ils me réclament 200 f CFA juste pour avoir jeté un coup d’œil dans mon carnet de vaccination qui est bien sûr à jour. Une fois au poste de gendarmerie on m’exige encore 1000 f CFA. A moins de 15 mètres, il y a de nouveau des policiers dont j’ignore l’unité qui demandent à fouiller mon sac. A peine j’ai ouvert mon sac – après qu’ils aient saisi mon passeport – que l’un des policiers me demande 1000 f CFA au risque de ne pas pouvoir continuer mon voyage ! 5000 f CFA pour traverser le Ghana et poser le pied à Lomé : c’est trop ! »

Yao Ferdinand confirme qu’il n’a pas été le seul voyageur à avoir souffert sur le trajet. Ceux qui n’avaient qu’une carte nationale d’identité au lieu d’un passeport ont pratiquement déboursé 1000 f CFA à chaque check-point. Léontine Ahognissou, une béninoise venu rendre visite à sa famille pour la première fois à Abidjan regrette amèrement ce voyage par la route.

« J’ai été obligée de donner tout mon argent. On a voyagé de nuit et si tu refuses ‘ces gens-là’ sont capables de te faire ce qu’ils veulent puisqu’ils ont les armes avec eux » se désole la jeune dame.

Les prélèvements illicites sur le corridor Abidjan-Lagos représentent un manque à gagner pour les voyageurs et les opérateurs économiques. A Sémé-Kpodji (frontière Bénin-Nigéria), certains voyageurs que nous retrouvons sur les gares routières affirment avoir dépensé entre 1000 et 2000 f CFA pour passer les postes frontières soit des montants qui oscillent pour finir entre 6 et 12 milles francs CFA. Pour les chargeurs, le voyage Abidjan-Lagos peut coûter facilement entre 50 et 80 milles franc CFA en taxes illicites avec ou sans les documents de voyages en bonne et due forme. Pour les transporteurs c’est facilement 30 à 60 milles franc CFA de charges supplémentaires pour un voyage entre la capitale économique de la Côte d’Ivoire à celle du Nigéria.

« Avec ou sans vos documents de voyage à jour vous allez payer quelque chose avant de passer. Et chaque corps présent au poste frontière viendra se sucrer sur votre dos » se lamente Abou Youssouf, un camionneur ghanéen allongé sous sa remorque à la frontière Côte d’Ivoire-Ghana.

Selon les chiffres de l’initiative Borderless Alliance West Africa, les prélèvements illicites imposés par les policiers, les douaniers et les gendarmes représentent facilement chaque année 4 à 5% du PIB des pays membre de la CEDEAO. En plus d’impacter négativement le produit intérieur brut des Etats membres de la CEDEAO, les actes de racket et de prélèvements illicites entraînent une flambée des prix sur les marchés en raison des taxes supplémentaires liées au transport des marchandises. « Finalement, se sont les consommateurs qui sont les véritables perdants puisque ce racket entraine directement une hausse des prix sur les marchés » souligne Razack Yssoufou, chef du Département appui aux entreprises à la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin (CCIB).

Les contrôles intempestifs imposés aux voyages entraînent d’importants retards et des charges supplémentaires en hébergement en raison de la fermeture des frontières entre certains pays le long du corridor. Nous en faisons l’amère expérience alors que nous arrivons à Aflao la nuit tombée. Il va falloir trouver un hôtel en terre ghanéenne mais pour les camionneurs stationnés avec des denrées périssables c’est un véritable dilemme car toute une partie de la cargaison peut être irrécupérable pour deux ou trois heures perdues à un poste frontalier.

« Cette histoire est devenue un peu comme la loi de la route. Tu payes tu passes : tu ne payes pas tu restes. On a beau parler mais rien ne change. Les forces de l’ordre prennent ce qu’ils veulent même quand le camion a toutes ses pièces » nous indique Doumbia Losseni un chauffeur de poids lourds.

Stationnés le long de la route, les camions tard dans la nuit deviennent des ‘proies faciles’ pour les voleurs et autres bandits. Car à se focaliser sur le racket des voyageurs, commerçants et transporteurs, les forces de l’ordre ont fait des stations frontalières des zones de non-droit, des repères du banditisme, du trafic de drogue et de la prostitution. Sur le corridor Abidjan-Lagos, les commerçants sont les vaches à lait des policiers, gendarmes et douaniers. Difficile de dire combien un seul commerçant laisse à chaque contrôle avant d’avancer avec sa marchandise. En côtoyant les commerçants, nous constatons qu’aux prélèvements illégaux s’ajoutent d’autres pratiques que condamne fermement Charlemagne Luc Tchakady, de l’Observatoire des Pratiques Anormales section Togo.

Il s’agit bien souvent des injures, des brimades, des attouchements et propositions indécentes sur des commerçantes. C’est ce que confirme celle qui se présente à nous sous le prénom de Marie*. Ses marchandises ont été saisies par la Douane Ivoirienne lors de notre passage à Noé. Elle soutient que les hommes en uniforme font souvent preuve d’une agressivité gratuite qui pousse les commerçantes à ne pas choisir la voie officielle pour déclarer leurs biens. « Quand tu les vois parler à des femmes mariées ou même des femmes qui peuvent les mettre au monde tu es découragé. Et certains ne se font même pas respecter. Ils sont prêts à faire des avances aux commerçantes » nous indique la jeune dame entourée d’autres commerçantes qui acquiescent ses dires.

Elle ira jusqu’à nous dire que « des commerçantes sont obligées de « se livrer » aux douaniers à défaut d’argent avant de récupérer leurs marchandises ». Une autre forme d’esclavage sexuel considéré comme un règlement en nature ! Le racket quasi institutionnalisé des forces de l’ordre le long du corridor Abidjan-Lagos n’a pas seulement un coût financier ou économique. Il peut être un facteur de ‘diabolisation’ des habitants d’un pays. On entend souvent dire « vous les nigérians n’êtes pas corrects » au lieu de « les policiers nigérians ne sont pas corrects » ou encore « les ghanéens sont mauvais » au lieu de « les douaniers ghanéens sont mauvais ».

Le racket peut donc entraîner une mauvaise perception d’un peuple par un voyageur. C’est ce que confirme le sociologue et chercheur ivoirien Rodrigue Koné. « Lorsque je me rendais pour la première fois dans un pays voisin de la Côte d’Ivoire, je me suis fait rabrouer par les agents des forces de l’ordre de ce pays et cela m’était resté comme une marque indélébile. Si je n’avais pas découvert les populations de ce pays je m’en serais tenu à cette image très négative qui forcément réagirait sur le jugement que j’ai de ce pays. L’acte posé par les policiers n’avait donc rien à avoir avec le comportement de ce peuple » nous explique le chercheur.

Les brimades, les actes de racket et les autres violations des droits de l’homme causés par les forces de l’ordre le long du corridor Abidjan-Lagos peuvent être des marqueurs très négatifs pour juger un pays. Depuis Aflao, la route qui mène à Lagos n’est plus très longue. Il nous faut à peine une heure pour traverser le Togo et le Bénin pour nous retrouver à Kraké. La frontière Bénin-Nigéria ressemble à un grand marché à ciel ouvert où règne un véritable désordre. En ce qui nous concerne, nos préoccupations sont ailleurs : le contact avec la police nigériane. Le passage au ‘sas’ s’impose. Les habitués sans se poser de question ont déjà glissé dans leurs passeports les billets de CFA ou de Naira. Nous tendons le nôtre vide : la réplique du policer ne se fait pas attendre.

Policier : What is this ? (Qu’est-ce que c’est?)

Eburnie Today: My passport Sir (mon passeport monsieur)

Policier : And it’s empty ? (Et il est vide ?)

Eburnie Today: Yes! According to the ECOWAS protocol I don’t have to pay anything to enter in Nigeria… (Oui car selon le protocole de la CEDEAO je n’ai rien à payer avant d’entrer au Nigéria)

Policier : (Il nous coupe net) I don’t eat the ECOWAS protocol : you have to pay or you go back. Don’t waste the time of those who are ready to be under the ‘border protocol’… (je ne mange pas le protocole de la CEDEAO: vous devez payer ou vous vous retournez. Ne perdez pas le temps à ceux qui ont décidé de soumettre au ‘protocole de la frontière’).

C’est à peine si l’officier nigérian se gêne pour réclamer son ‘excès de salaire’. Il ne laisse apparaitre aucun remord, aucune gêne, aucun regret lorsqu’il retire les billets de banque des passeports et les jette sur une petite table dans le fond du bureau. C’est à croire que l’agent des forces de l’ordre qui n’est pas corrompu sur cette route n’existe pas ! Indexés et considérés comme les auteurs des pratiques anormales dénoncées par les usagers, les forces de sécurité se défendent de promouvoir des pratiques contraires à l’éthique de la gouvernance routière. Ernest Kpodo, officier de la Police des Migrations ghanéenne estime « qu’il y a un amalgame entre les prélèvements légaux et illégaux ».

 

Ernest Kpodo invite les voyageurs, transporteurs et commerçants à refuser de verser de l’argent de façon illégale aux policiers, douaniers et gendarmes. Un appel plein de sincérité mais dans les faits, plus facile à dire qu’à réaliser ! Comment s’opposer aux garants de la loi à un poste frontalier quand ils sont eux-mêmes auteurs d’actes répréhensibles par la loi ? Pour Razack Yssoufou, chef du Département appui aux entreprises à la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin (CCIB), s’opposer aux prélèvements illégaux et pratiques contraires à l’éthique de la gouvernance routière commence par des gestes simples. Pour les commerçants et transporteurs, il s’agit de disposer des documents liés au dédouanement et des titres de transport en vigueur au sein de l’espace communautaire. Pour les voyageurs être détenteur d’un passeport biométrique valide et d’un carnet de vaccination internationale à jour.

Si les citoyens sont en possession de leurs documents de voyage et que les PDG persistent dans le racket, il faut que les Etats membres de la CEDEAO (hiérarchie militaire) pensent à appliquer des sanctions voire la radiation. Des textes existent mais leur application pose problème parce qu’il n’y a pas de prise de décision forte estime Eric Aimé Sémien président de l’OIDH-Côte d’Ivoire (Observatoire ivoirien des droits de l’homme). Il faut que les agents des forces de l’ordre qui s’opposent à la libre circulation des personnes et des biens soient sanctionnés afin que cela serve de leçon renchérit Charlemagne Luc Tchakady, de l’Observatoire des Pratiques Anormales section Togo.

Le triptyque pour promouvoir la gouvernance routière sur le corridor Abidjan-Lagos tient donc en trois mots : sensibilisation, information des citoyens sur leurs droits et répression quand le besoin se fait sentir. C’est là le seul moyen pour une application effective du protocole sur la libre circulation des personnes et des biens et mettre fin aux actes de corruptions sur cette route commerciale appelé à juste titre le corridor de l’intégration.

SUY Kahofi

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