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Elections sénatoriales : Ouattara a-t-il violé la constitution ?

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Depuis l’annonce de l’ordonnance du chef de l’Etat qui détermine les conditions d’éligibilité et de nomination des sénateurs ainsi que d’organisation des élections sénatoriales, c’est la controverse. Eburnie Today revient sur ce sujet en cinq points pour vous permettre de comprendre ce débat concernant l’installation de la deuxième chambre du parlement prévue par la nouvelle constitution.

La démarche observée par le gouvernement

Alors que l’opposition et la société réclamait une réforme de la Commission électorale indépendante (CEI) et des discussions pour trouver un consensus sur l’organisation des élections sénatoriales, le gouvernement a annoncé contre toute attente à l’issue du conseil des ministres du 14 février 2018 la prise d’une ordonnance pour la mise en place de la deuxième chambre du parlement ivoirien. « Cette ordonnance ouvre ainsi la voie à tout moment, donc immédiatement, à l’organisation des élections des sénateurs, cela en vue de permettre l’entrée en activité du Sénat dans la période constitutionnelle prescrite », a justifié le porte-parole du gouvernement Bruno Koné.

Une semaine plus tard, le gouvernement a dévoilé le chronogramme de ce scrutin. Lors du conseil des ministres du 21 février 2018, l’exécutif a fixé au 24 mars prochain l’élection des sénateurs ainsi que la période de campagne du 19 au 22 mars. Ces mesures ont aussitôt suscité une levée de boucliers.

Ce que prévoit la constitution

De l’opposition à la société civile, des voix s’élèvent pour marquer leur étonnement. Ils ne comprennent pas que le président prenne une ordonnance en lieu et place d’une loi organique pour la tenue des élections sénatoriales.

En effet, l’article 90 de la constitution de la troisième république stipule qu’« une loi organique fixe le nombre des membres de chaque chambre, les conditions d’éligibilité et de nomination, le régime des inéligibilités et incompatibilités, les modalités de scrutin ainsi que les conditions dans lesquelles il y a lieu d’organiser de nouvelles élections ou de procéder à de nouvelles nominations, en cas de vacance de siège de député ou de sénateur ».

D’ailleurs, dans une déclaration le 19 février, le Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (Wanep) observe que « c’est par une ordonnance que les modalités de mise en place du parlement sont précisées, en lieu et place d’une loi organique comme précisé dans l’article 90 de la Constitution de Novembre 2016 de la République de Côte d’Ivoire ». L’ONG note une précipitation dans la mise en place du Sénat et demande au gouvernement de donner le temps aux organisations de la société civile d’informer la population sur ce nouveau processus et de conduire les réformes nécessaires de la CEI et du code électoral avant les élections locales.

La position du Pr Francis Wodié

Dans ce débat sur les élections sénatoriales, le Professeur émérite de droit constitutionnel, Francis Wodié, a exprimé son point de vue. L’ancien président du Conseil constitutionnel a déclaré le 26 février, au sortir d’une rencontre avec le président du PDCI Henri Konan Bédié, qu’il y a manifestement une violation de la constitution par le chef de l’Etat. « La constitution est assez claire. Elle indique que l’organisation de l’élection des membres du Parlement, d’après les grandes dispositions posées par la constitution, doit faire l’objet d’une loi organique », précise cet universitaire respecté, avant de poursuivre : « Ce sont des points importants mais ce ne sont pas les seuls. Il y a des problèmes juridiques, mais il y a surtout, pour nous, des problèmes politiques ».

Les arguments de Cissé Bacongo

Vice de procédure ? Non, répond Cissé Ibrahim Bacongo, conseiller spécial du président Alassane Ouattara chargé des affaires juridiques, institutionnelles et politiques. Dans un entretien accordé au quotidien ‘’Le Patriote’’ le 2 mars, l’ancien ministre déclare qu’il est « excessif » d’affirmer que l’ordonnance prise par le chef de l’Etat « viole la constitution »« Ceux qui contestent la constitutionnalité de l’ordonnance s’en tiennent à la forme de l’article 90, alinéa 3, pour les besoins de leur cause. Or, il convient de prendre en compte également le fond de cet article en liaison avec les articles 109 et 110 de la constitution », estime-t-il.

La position du cadre du RDR plus que politique

Les articles 109 et 110 indiquent que les projets et propositions de loi sont déposés à la fois sur le bureau de l’Assemblée nationale et du Sénat et prévoient leur modalité d’adoption. Cissé Bacongo fait valoir que l’article 106, qui souligne que le chef de l’Etat peut, pour l’exécution de son programme, demander au parlement, par une loi, l’autorisation de prendre par ordonnance, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi, est valable dans ce cas-ci. « Le vote des lois organiques est soumis désormais à la même procédure que les lois ordinaires. Dès lors, le président de la république, conformément à l’article 106 de la constitution, pouvait « prendre par ordonnance », comme il l’a fait, « des mesures qui sont normalement du domaine de la loi », telles que celles relatives à l’élection des députés et des sénateurs », défend l’ancien ministre de l’enseignement supérieur puis de la fonction publique.

Une ordonnance controversée

Mais l’argumentaire est loin de convaincre. L’écrivain et essayiste Pierre Soumarey Aly pense que « le ministre Bacongo nous a produit un épais rideau de fumée ». Car, explique-t-il, la capacité du président à prendre par ordonnance des mesures qui relève du domaine de la loi n’est envisageable qu’après une loi d’habilitation. C’est-à-dire l’autorisation du parlement (l’Assemblée nationale en l’occurrence) qui fixe l’objet et la durée de validité notamment. Ce qui n’a pas été fait pour la détermination des conditions d’éligibilité et de nomination des sénateurs. « En excédant le domaine de sa compétence, le président de la république a méconnu les limites qui lui sont imposées par la constitution, tant sur la forme que le fond », analyse Pierre Soumarey.

Plusieurs partis politiques de l’opposition, regroupés au sein d’une plateforme, ont réitéré le 1er mars, leur opposition à la démarche du gouvernement : « Le gouvernement de la Côte d’Ivoire doit expliquer à nos compatriotes ainsi qu’à la communauté internationale les raisons qui le fondent à précipiter l’installation du Sénat, dans l’extrême urgence, au point de violer la constitution et de rejeter le verdict de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des peuples ». Un verdict qui demande la réforme de la Commission électorale indépendante.

Anderson Diédri

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