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Fesco face à la montée de la mer

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Selon le Programme pour la biodiversité et le changement climatique en Afrique de l’ouest (WA BiCC), le littoral africain recule de 1 à 2 mètres par an en fonction des zones côtières mettant en péril des vies humaines et les intérêts économiques des populations. Ce constat n’est pas que le résultat d’une simple étude mais elle témoigne du vécu de nombreuses populations côtières.

Pays côtier d’Afrique de l’ouest, la Côte d’Ivoire possède une façade maritime estimée à un peu plus de 500 km qui s’étend de sa frontière avec le Ghana à l’est à celle du Liberia à l’ouest. Sur ce littoral sont concentrés un nombre très important de hameaux, villages, villes et grandes agglomérations dont la capitale économique ivoirienne, Abidjan. Toutes ces localités sont menacées par la montée du niveau de la mer, un phénomène inquiétant que la communauté scientifique relie au réchauffement climatique. La montée du niveau de la mer favorise notamment l’érosion côtière, une véritable menace pour toutes activités humaines le long des côtes.

La Côte d’Ivoire conscient de cette menace a identifié le long de son littoral cinq points chauds qui font l’objet d’une surveillance particulière et bénéficie d’un programme de résilience. Selon professeur Djagoua Eric Valère, Coordinateur du programme national de gestion de l’environnement côtier au Ministère ivoirien en charge de l’environnement, ces cinq zones sont « San-Pedro à l’ouest du pays avec le premier port d’exportation de cacao dans le monde, la commune de Port-Bouët (Abidjan-sud) avec l’aéroport international FHB, le Port Autonome d’Abidjan (PAA) et la raffinerie nationale (SIR), la ville historique de Grand-Bassam, la cité balnéaire et touristique d’Assinie et enfin le département côtier de Grand-Lahou avec l’embouchure qui se déplace à tout moment ».

Un projet de résilience lancé à Fresco

La ville de Fresco dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire est située sur l’un de ces points chauds, la région côtière de Grand-Lahou. La localité qui était jadis un paisible village de pêcheur a dû être déplacé de son ancien site face à la monté du niveau de la mer. Ici pas besoin de longues explications pour comprendre ce phénomène. L’histoire de la paisible localité est un témoignage vivant du réchauffement climatique et de la montée de l’océan atlantique sur les terres.

« Notre village, Fresco, qui était situé sur une langue de terre en bordure de mer avait à l’origine une largeur de 200 à 250 m. Déjà en 1966, nos parents ont vu la mer avancer. Sentant le danger, ils ont jugé bon de délocaliser le village sur le site actuel de la ville de Fresco soit à plus de 5 km du littoral. Le site initial du village n’a aujourd’hui qu’une largeur d’à peine 40 m » nous indique Raoul Zabavi, chef du village de Fresco depuis 11 août 2018.

Les populations locales dépendent d’un écosystème de plus en plus fragile

Bien que délocalisé d’environ cinq kilomètres de son ancien site, Fresco fait encore face aux dangers de l’ensablement de la lagune, de l’érosion côtière et de la montée du niveau de la mer. Les activités agricoles et celles liées à la pêche sont fortement perturbées et les grosses vagues détruisent les plantations, les biens et les habitations. Pire, l’embouchure d’une largeur de 40 mètres doit être ouvert par les habitants à la main au risque d’avoir une saison sans poissons.

« Par le passé, Fresco était considérée comme une région côtière qui était vraiment très poissonneuse. Aujourd’hui, l’ensablement de la lagune fait qu’il n’y a pas assez de poissons. Le fruit de la pêche est tout aussi mauvais en qualité (taille des poisson) qu’en quantité » se désole Jean Martial Dagou chef de terre à Fresco. Le notable nous explique que les pêcheurs du village – autochtones et allogènes – ont remarqué une hausse de la température de la lagune qui ne favorise pas la bonne croissance des poissons. Un constat certifié par le Capitaine Gbato Gueu Gbeu, chef de l’unité de gestion forestière du massif forestier d’Ocromodou. L’agent des Eaux et Forêts précise que d’autres aspects d’un dérèglement du climat sont aussi observés à Fresco.

« On ne maitrise plus vraiment le climat à Fresco. Les saisons ne sont plus respectées par les éléments naturels. Les saisons sèches deviennent plus longues et pour une ville côtière, il fait de plus en chaud à Fresco. La pluie arrive à un moment où on ne s’y attend plus avec violence et abondance entrainant de grosses inondations ».

Vers une solution durable ?

« Nous avons une belle cité » se réjouis Raoul Zabavi, chef du village de Fresco. « On pourrait y développer un excellent tourisme lacustre et culinaire avec des balades en pirogue sur les bras de la lagune ». Malheureusement, la montée du niveau de la mer plombe ce type d’initiative de croissance locale au même titre que « l’agriculture et la pêche », deux secteurs d’activité « qui méritent d’être redynamisés » selon Jean Martial Dagou chef de terre à Fresco.

Afin d’aider les populations de Fesco à faire face aux effets du réchauffement climatique et de la montée du niveau de la mer, le Programme pour la Biodiversité et le Changement Climatique en Afrique de l’Ouest (WA BiCC) et l’ONG Impactum ont initié un projet de résilience. Baptisé ‘Renforcement de la résilience dans le paysage côtier de Fresco’, le programme propose une série d’activités à réaliser avec les communautés à la base pour réduire les effets de l’avancée de la mer.

« Nous venons pour donner encore plus de capacité aux populations, pour les aider à réaliser ce qu’elles veulent et comment elles veulent le faire. En d’autres termes réaliser le projet pour elles et avec elles » souligne Marc Daubrey président de l’ONG Impactum.

Le projet va notamment permettre la réalisation de plans locaux de développement qui permettront d’évaluer les potentialités de développement agricoles en dépit de la montée du niveau de la mer et de l’érosion côtière. Les plans ‘terroir durable’ quant à eux proposeront des activités alternatives pour améliorer les activités liées à la pêche. A cela s’ajoute la restauration de la mangrove et des forêts des hauts plateaux, la promotion de techniques d’agroforesterie et l’accès des pêcheurs aux outils qui leur permettront de gérer les ressources dans l’estuaire de la Lagune de manière durable.

Le programme de résilience pourrait relancer le tourisme lacustre

Pour le maire de la commune de Fresco, Fulbert Beugrefoh, ce programme de résilience vient rappeler « que malgré les difficultés, il est encore possible d’améliorer les conditions de vie et de travail » des populations. « La question de la montée du niveau de la mer ne peut pas être gérée par une petite commune comme Fresco toute seule. Notre souhait est de mobiliser d’autres acteurs et partenaires qui viendront nous aider à exécuter des projets de résilience en vue d’aider les communautés locales à mieux faire face aux effets du changement climatique ».

En Côte d’Ivoire, comme un peu partout en Afrique, les communautés locales ont encore du mal à lutter contre l’avancée de la mer et l’érosion côtière peut-on lire dans les rapports de la Convention d’Abidjan sur la gouvernance côtière. Ce recul des terres face à la mer a déjà fait disparaitre de la carte des localités entières et impacté sérieusement les activités génératrices de revenus de nombreuses familles. Pour Abou Bamba, le Secrétaire exécutif du Secrétariat de la Convention d’Abidjan, il est impératif d’avoir des plans de résilience pour les communautés impactées au risque d’assister d’ici quelques années à des exodes de populations, à plus de conflits fonciers et à la perte des moyens de production et de vie de nombreuses communautés.

SUY Kahofi

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