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Inondation à Abidjan en saison de pluie : une fatalité ?

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Chaque année en saison de pluie, les Abidjanais revivent les mêmes scènes : des bâtiments engloutis par les eaux, des personnes en détresse ne sachant pas à quel saint se vouer, des déambulations d’officiels dans les quartiers et surtout le décompte macabre au journal de 20 h sur la chaîne nationale. Tous les ans, entre Mai et Août, c’est le même spectacle. Les causes sont connues, les critiques et indignations passées, certains acteurs semblent résolument décidés à jouer pleinement leurs rôles. Et le moindre qu’on puisse dire c’est qu’ils sont des citoyens lambda. 

20 morts en 2018, 20 morts également en 2020 dont 7 du fait des intempéries et 13 à cause d’un éboulement de terrain, selon le décompte de l’Office National de la Protection. 721 ménages sinistrés, soit 3 605 personnes affectées, 9 blessés et 19 décès en 2019, selon des chiffres du ministère de la Solidarité, de la Cohésion sociale et de la Lutte contre la pauvreté. Ce sont les chiffres du bilan humain des inondations à Abidjan et ses environs, rien que pour ces deux dernières années. Le bilan matériel lui, se chiffre à un peu plus de cinq milliards de FCFA.

« Le sujet est délicat et les responsabilités sont partagés » affirme Alain Tchaouma, expert urbaniste. « Il n’est cependant pas question de pointer de doigt untel ou untel » poursuit-il. Pour lui, l’heure est à la recherche de solution. Car, « les faits sont là, les chiffres sont alarmants, il faut mettre des propositions sur la table ; des propositions pour aider le pays à faire face ». Selon l’expert, « il faut un grand projet de réaménagement du centre d’Abidjan et une politique zéro tolérance face aux constructions anarchiques ».

L’exécution des grands projets

Parlant de grands projets, il y a justement ce grand projet du bassin versant du gourou. Et l’appeler grand projet n’est pas une vue de l’esprit tant les gouvernements ivoiriens qui se sont succédés ont échoué à dompter cette zone à la frontière des communes du Plateau, de Cocody et d’Adjamé. D’un coût de plus de 18 milliards de FCFA, la phase d’urgence de ce projet a démarré en 2010 pour s’achever en 2013. Elle a été financée par le Fonds Africain pour le Développement (FAD) et devait mettre un terme aux inondations au grand carrefour de l’Indénié et aux calvaires des abidjanais.

Dans la présentation du projet, les ingénieurs ont indiqué que « la problématique du bassin est définie par sa forte et anarchique urbanisation, la réalisation partielle des réseaux de voirie, d’assainissement et de drainage et la mauvaise gestion des déchets solides qui entrainent des crues de forte amplitude, l’érosion des sols et l’incapacité du réseau d’assainissement existant d’absorber et d’évacuer les eaux de drainage ».

Pour eux donc, c’est cette situation qui est à l’origine des inondations récurrentes au niveau du carrefour de l’Indénié et des quartiers environnants. Cette phase d’urgence a été clôturée en 2013 après trois de travaux. Mais dès 2014 c’est-à-dire un an tout juste après les travaux, les inondations ont fait 23 morts et 16 en 2015.

Les grands travaux sont défiés et vaincus chaque année par la pluie (photo DR)

Face à ces chiffres, le ministère met en avant l’argument du temps long pour « résoudre définitivement ce type de problème complexe ». En effet, « il s’agit d’un processus un peu long. Le projet du bassin versant du gourou a deux phases. La première, la phase d’urgence a été financée et mise en œuvre entre 2010 et 2013. Il s’agissait de parer au plus urgent et surtout de mettre les bases d’un travail plus aboutit au cours d’une seconde phase ».

La seconde phase en question a en effet été lancé en juillet 2020 avec cette fois, l’ambition de réaliser un échangeur qui permettrait d’évacuer correctement les eaux vers la lagune directement. Au ministère de l’assainissement et de l’urbanisme, on veut croire à une résolution définitive du problème. Selon la ministre Anne Désirée Ouloto, « cette seconde phase va consolider le travail réalisé lors de la première phase ».

Dans la même lancée, la Banque Mondiale a approuvé en juin 2020, un prêt à l’Etat de Côte d’Ivoire pour la mise en œuvre d’un autre grand projet d’un montant total de 315 millions de dollars. Le Projet d’Assainissement et de Résilience Urbaine (PARU) vise à améliorer la gestion des eaux pluviales et des ordures ménagères afin de réduire les risques d’inondations et sanitaires élevés auxquels sont confrontés les ménages urbains pauvres.

La première phase de mise en œuvre, dotée d’une enveloppe de 37 millions de dollars, sera consacrée à la construction ou réhabilitation de systèmes de drainage pour une meilleure canalisation des eaux pluviales dans les quartiers les plus exposés comme Yopougon et Abobo, les deux quartiers les plus peuplés d’Abidjan, ainsi que la ville de Grand Bassam. Par ailleurs, le PARU mettra en place un système d’alerte précoce des inondations et renforcera les capacités des institutions en charge de l’assainissement et de la planification urbaine, à travers la formation et l’équipement en technologies numériques dédiées.

En plus de ces grands projets dont l’objectif est d’avoir une réponse durable à la problématique des inondations dans la capitale économique ivoirienne, des solutions d’urgence sont également mises en place par les autorités.

Le plan ORSEC ou Organisation de la Réponse de Sécurité Civile

« Chaque année, entre mai et juillet, nos services sont en alerte parce que c’est la période des grandes pluies » indique AMANKOU Kassi Gabin, le directeur général de l’office national de la protection civile (ONPC). Le plan est piloté par le préfet du département au niveau d’Abidjan et au niveau national par le ministre de l’intérieur. La mise en œuvre des décisions sur le terrain est l’affaire des agents de l’ONPC. Il s’agit « d’un plan simple, connu par tous. Ce qui fait qu’il est le plus efficace en matière de réponse pour faire face à une catastrophe » affirme M. Amankou. Le déploiement de plan ORSEC a permis « de sauver de centaines de millier de vie rien qu’à Abidjan ces dernières années » indique le directeur qui en appelle aussi au sens de responsabilité des populations qu’il exhorte « à faire preuve de responsabilité dans leur occupation de l’espace et dans la gestion des déchets ».

Les déchets obstruent de nombreuses canalisations (photo DR)

Même son de cloche du côté du ministère. La ministre Anne Désirée Ouloto appelle elle aussi à un changement de comportement. « Je voudrais indiquer qu’au-delà de ces gros investissements et de ces gros efforts fournis par l’État de Côte d’Ivoire, il importe que les populations accompagnent ces processus par un changement de comportement. Nous devons vivre autrement avec nos déchets pour éviter que nos déchets ne viennent obstruer tous ces canaux qui seront réalisés, dans notre propre intérêt ».

Face à la violence des intempéries de ces dernières années, le gouvernement a mis en place un comité interministériel de crise chargé de la gestion des inondations. Mis en place après les terribles inondations de 2018 dont le bilan humain officiel est de 20 personnes et le bilan matériel a été chiffré à un peu plus de 18 milliards de FCFA, le comité tant à devenir un acteur permanent. Son rôle, cordonné l’ensemble des interventions du gouvernement. Il est composé des ministères directement concernés par la question de l’assainissement et de l’urbanisme mais aussi de représentant du district d’Abidjan.

Des populations prennent les choses en main

Les interpellations et sensibilisations des autorités semblent avoir trouvé des oreilles attentives au sein de la population. A la Riviera 3, quartier huppé dans la commune de Cocody, des résidents de la cité Alabra, une cité durement touchée ces dernières années par les inondations, se sont organisés pour faire face au problème. « Nous-mêmes on sait que cette affaire d’inondation est difficile à gérer » entame Benjamin Atta, la trentaine, représentant les jeunes du syndic de la cité.

Très calme et d’un ton volontariste, sa prise de parole renseigne sur l’état d’esprit des jeunes de cette cité résidentielle. « On ne veut pas rester là à critiquer le gouvernement. Chacun doit s’impliquer. Le gouvernement fait sa part et nous en tant que résident, nous devons aussi faire notre part. de toute façon, nous sommes les premiers concernés ».

Ainsi, les jeunes se sont organisés pour « remplir des sacs de sables, débouchés des canalisations et curés les caniveaux ». Mais Benjamin Atta est conscient des limites de ces actions. C’est pourquoi « nous avons décidé de participer à la sensibilisation des populations dans le quartier. On a aidé aussi les actions de la mairie pour détruire les magasins qui étaient construits sur les voies de canalisation. On ne reste pas les bras croisés, on ne se contente pas de critiquer. On agit aussi ».

Même tonalité à la Riviera Palmeraie, autre quartier chic de la commune de Cocody. Du côté de la rue ministre, les résidents vivent un véritable calvaire. Rue coupées, maisons inondées, aucune possibilité de déplacement, « ici, en saison de pluie, on oublie qu’on est au cœur de Cocody. C’est triste mais c’est la réalité » constate Hubert Konan, 56 ans, propriétaire d’une villa donnant directement sur la rue. Sa villa se retrouve sous les eaux, chaque année à la même période.

Namory Sylla, gère un cyber-café. Il dit avoir perdu tous ces appareils lors des inondations de 2019. Depuis, avec d’autres jeunes du quartier, il a décidé de s’impliquer dans la recherche de solution pour faire face à la situation. « Tout le monde est devenu un peu un agent de la mairie. On a sensibilisé les gens à ne pas jeter les ordures dans les caniveaux. C’est ce que bouche les canalisations et donc l’eau n’arrive pas à passer ». Dans un quartier où la plupart des jeunes sont des enfants de…, Namory assure que « la mobilisation a été facile parce que tout le monde a vu que ce n’était pas une affaire d’une personne ou encore une affaire où il faut attendre tout de l’Etat ».

Par ailleurs, le jeune homme indique avoir été soutenu par les résidents. En effet, « les gens du quartier nous ont vraiment encouragé. Certains nous ont dit qu’on pouvait compter sur eux si on avait besoin d’argent pour acheter des équipements comme les bottes, les combinaisons de protection etc. parce qu’on descend souvent dans les caniveaux pour dégager le passage de l’eau. Et ils ont réagi quand cela a été nécessaire ». Dans le quartier, les digues de fortune fabriquées par les jeunes sont bien visibles et les riverains apprécient cet engagement des jeunes du quartier. Mais un sujet revient dans toutes les prises de parole : les constructions anarchiques. Un sujet délicat à laquelle la mairie à décider de s’attaquer.

La Mairie change de doctrine

« Aujourd’hui, si vous demandez un permis de construire, vous pouvez facilement atteindre un délai d’approbation de six mois. C’est trois fois plus qu’avant c’est-à-dire dans les années 2010 jusqu’à 2016 voire 2017 même. Pourquoi ? parce qu’on fait des vérifications qui prennent souvent du temps. Il faut s’assurer que le terrain est habitable » révèle Mme Kouao Clarisse, chargé d’étude au service technique de la mairie de Cocody.

Dans le quartier huppé de Cocody les dégâts sont aussi importants (photo DR)

Selon la fonctionnaire municipale, « il y a une cartographie exacte des zones habitables de toute la commune. Les voies sont tracées et aucune personne ne peut avoir un permis de construire sur une zone de canalisation » Lucide, elle reconnait que « ce n’était pas forcément le cas avant. Le fichier du foncier urbain de la commune n’était à jour ni même numérisé. Ce qui a permis effectivement que des terrains qui n’en sont pas en réalité soient vendus à des personnes. Aujourd’hui, on se retrouve face à une équation presque insoluble dans la mesure où, si vous décidez de détruire ces habitations, vous mettez de nombreuses familles à la rue sans autres solutions relocalisation ».

L’engagement des populations n’est pas négligeable dans ce combat. En effet, la mairie, grâce à des « bonnes volontés » au sein de la population, fait en sorte qu’il n’y ait plus de construction anarchique. Ainsi, « les plans de lotissements sont très suivis et désormais, les risques sont quasiment nuls. On anticipe les constructions et quand quelque chose échappe à nos services, il y a des riverains qui interpellent et permettent ainsi aux services de faire cesser les travaux et si possible engager des poursuites devant les tribunaux. Mais jusqu’à présent, nous n’avons pas encore été amené à aller jusque-là. Mais c’est une possibilité sur notre table » a-t-elle conclu.

Selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2018, la Côte d’Ivoire est classée 147ème sur 178 des pays les plus menacés par les catastrophes liées au réchauffement climatique. Les pluies diluviennes à Abidjan et environs ont causé de nombreuses pertes en vie humaine et des dégâts qui chiffrent en milliards de FCFA depuis 2010. Au moment où la décennie s’achève, l’ensemble des acteurs semblent avoir pris conscience des enjeux et tous, collectivement au-delà des critiques légitimes, sont engagés d’abord à parer au plus urgent : trouver la solution pour sauver les vies humaines et épargner des milliards qui ne feraient pas de mal à bien d’autres secteurs.

Traoré Bakary

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