L’exploitation de l’uranium au Niger rapporte-t-elle plus de 5 000 milliards de FCFA par an ?
Une publication sur les réseaux sociaux indique que « la France s’empare de tout sur les 5 504 milliards que produisent les recettes de l’uranium par an, le Niger ne gagne que 86 milliards et la France s’accapare tranquillement des 5 418 milliards ». Après vérification, c’est faux !
La publication effectuée sur Facebook a commencé à être virale à partir du 24 avril 2022 après avoir été repris par des profils populaires. La page Facebook où elle a eu le plus d’audience, est Meilleure Ecole du Sénégal. Sur cette page, la publication a généré plus de 1 600 partages, près de 500 commentaires et plus de 1 500 likes.
Un autre gros compte, Impact Entrepreneur ayant repris la publication, a généré plus de 200 partages, 112 commentaires et un peu moins de 450 likes. Mais ce n’est pas seulement sur Facebook que la publication tourne. Elle est également reprise sur Twitter. Sur ce réseau, c’est un journaliste très suivi, Fenelon Massala, qui a relayé l’information avec ce tweet.
Mais, d’où vient cette information ?
S’il est vrai qu’à partir du 24 avril 2022 l’information a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux, il est cependant établi qu’elle a été publiée sur Facebook depuis quelques temps déjà. En fait, cette information circule sur Facebook depuis au moins novembre 2021. Dans cette publication du 28 novembre 2021, l’internaute commence par « lu quelque part ». Ce qui signifie à priori, qu’il n’est pas l’auteur de l’information et qu’il ne fait que la relayer. Pourtant il s’agit de la plus ancienne date de publication. Il est donc difficile de savoir qui en est l’auteur. Dans tous les cas, ce post n’a pas connu un grand écho puisqu’il ne totalise encore aujourd’hui, que 21 partages et 8 likes. Aucun commentaire.
Dans cette publication du 7 décembre 2021, la deuxième plus ancienne occurrence trouvée, l’auteur bien qu’il commence par « Lu quelque part » cite un nom : BAKARY DIARRA. Serait-ce lui l’auteur originelle de la publication ? Difficile de répondre par l’affirmatif. Il a lui aussi fait sa publication le 28 novembre 2021, soit la même date que le premier internaute mentionné plus haut.
On a donc 2 internautes qui ont relayé la même information le même jour et il s’agit de la plus ancienne date de publication que l’on a trouvée. Un détail aidera donc à départager. Il s’agit de l’heure de la publication. Sur cette base, la plus ancienne des deux publications est celle de BAKARY DIARRA. Il a fait sa publication à 19:26 tandis que l’autre personne, a posté à 19:34, exactement 10min après.
Pourtant, BAKARY DIARRA commence lui aussi par « Lu quelque part ». Une publication qui aura un très grand écho puisqu’elle totalise actuellement plus de 1 200 partages, plus de 200 commentaires et plus de 500 likes. Nous avons donc contacté M. BAKARY DIARRA pour connaitre sa source. Deux jours après notre demande, il n’y a aucune réponse. Pourtant, l’internaute a fait d’autre publications depuis l’envoi de notre question en message privé sur Messenger.
Serait-ce une stratégie d’écrire « lu quelque part », de sorte à ne pas avoir à répondre aux questions sur l’origine des données par exemple ? Cette publication doit être prise avec des réservesd’autant qu’il n’y a pas de sources citées et que les chiffres avancés soulèvent des questions.
Quelle est la capacité de production annuelle d’uranium au Niger ?
Beaucoup de chiffres sont mentionnés dans cette publication. D’abord sur la production annuelle, il est indiqué que le Niger produit « 43 000 tonnes d’uranium par an ». Mais selon les données disponibles, consultables sur le site du plus grand groupe d’exploitation d’uranium au Niger, le français Orano et de nombreux articles de presse, ce chiffre est très loin de la réalité.
Orano (anciennement Areva) est une multinationale française spécialisée dans les métiers du combustible nucléaire, de l’amont à l’aval du cycle. Cette société française détient des droits d’exploitations de l’uranium au Niger à travers 3 filiales dans lesquelles l’Etat du Niger à des parts.
La première nommée Somaïr ou Société des Mines de d’Aïr exploite la mine à ciel ouvert de l’Aïr. Elle est détenue à 63,4 % par Orano et à 36,66 % par l’Etat du Niger à travers la SOPAMIN (Société du patrimoine des mines du Niger). Ce site à ciel ouvert à une capacité de production de 2000 à 2500 tonnes d’uranium par an et depuis le début de l’exploitation en 1971, il a réalisé une production de de 70 000 tonnes.
La deuxième, c’est Cominak, mine d’uranium souterraine. Elle est détenue à 59% par Orano et 31% par l’Etat du Niger. En 47 ans d’exploitation, elle aura produit 75 000 tonnes d’uranium comme on peut le lire sur le site internet du groupe. Soit environ une production annuelle de 1000 à 1500 tonnes. Le site a été fermé en mars 2021 en raison de l’épuisement des ressources.
Dans cet article de rfi.fr, Gilles Recoche, le directeur engagement, responsabilité et communication d’Orano, explique que « l’exploitation s’arrête, car clairement les ressources sont épuisées. Bien sûr, il y a toujours de l’uranium en terre, mais encore faut-il qu’il soit exploitable, rentable et qu’il puisse permettre de payer des gens… On a commencé les réflexions sur le réaménagement du site en 2002. À la suite de cela, des décisions ont été prises à l’unanimité par le conseil d’administration en 2019 et l’arrêt de fermeture a été validé le 15 octobre 2020. »
Le Projet Imouraren, la mine de demain est la troisième filiale. Pourquoi projet ? Parce que ce site n’est pas encore en exploitation. « Situé à 80 km au sud d’Arlit et à 160 km au nord d’Agadez, ce gisement découvert en 1966 contient des réserves parmi les plus importantes au monde. A l’issue d’une étude de faisabilité achevée fin 2007, Orano a obtenu début 2009 un permis d’exploitation du gisement. Les travaux pour la mise en production du site ont été suspendus et le site a été mis « sous cocon » en 2015 dans l’attente de conditions de marché plus favorables. La société d’exploitation est détenue à 66,65% par Orano et à 33,35 % par SOPAMIN et l’État du Niger, peut-on lire sur le site du groupe français.
Ainsi, sur les trois sites d’uranium au Niger, il y a un seul site en exploitation actuellement. Celui de Somaïr dont la capacité de production annuelle est estimée entre 2000 et 2500 tonnes. Et même dans une configuration où la mine de Cominak était encore en exploitation, si l’on additionne la production annuelle des sites de Somaïr et de Cominak, l’on est entre 3000 et 4000 tonnes.
Citant des données d’un rapport de la BCEAO, cet article publié le 10 février 2022 par le site d’information sikafinance.com, spécialisé dans l’information économique en Afrique de l’Ouest,indique que le Niger a exporté 2904 tonnes d’uranium en 2020 contre 2923 tonnes en 2019. L’article nous apprend que les deux filiales du groupe Orano que sont Somaïr et Cominak ont produit respectivement « 1786 tonnes et 1118 tonnes en 2020 soit un total de 2904 tonnes de production annuelle ». Loin, très loin du chiffre de 43 000 tonnes de production d’uranium par an comme il est indiqué dans la publication relayée sur les réseaux sociaux.
Quel est le coût de l’uranium sur le marché international ?
Sur le coût de vente de l’uranium, la publication avance deux chiffres. Il est mentionné que l’uranium est vendu par le Niger à 43 000 FCFA le kilo alors que sur le marché international, « le kilo du dioxyde d’uranium est à 128 000 000 FCFA ». Autrement dit, le Niger vend le kilo de l’uranium à la France 2 976 fois en dessous du prix sur le marché international. Évidemment c’est énorme. Mais d’abord, il faut utiliser les bons termes. Sur le marché international, l’uranium n’est pas vendu en « Kilogramme » mais en « Livre ». C’est l’expression employé par les professionnels du milieu. Et le livre d’uranium n’a jamais atteint 60 dollars soir 33 000 FCFA.
Selon cet article publié le 10 septembre 2021 de l’agence d’information économique agenceecofin.com, l’uranium se « négociait en novembre 2016 à 18,1 dollars/livre et a stagné entre 25 et 30 $/livre pendant plus de cinq ans, le prix de l’uranium franchissait de nouveau le cap des 30 dollars (34 dollars) en mai 2020 ». 30 dollars soit 17 000 FCFA. Là encore, loin, très loin des 43 000 FCFA le kilogramme d’achat par le France et encore à des années lumières des « 128 000 000 FCFA le kilo du dioxyde d’uranium » sur le marché international.
Combien rapporte l’uranium en réalité ?
Selon le rapport 2016 de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), cité dans cet article de agenceecofin.com, le Niger a exporté 4099 tonnes d’uranium en 2014. En termes de valeur, ce volume représente 245 milliards de francs CFA. En 2013, le Niger avait exporté 4382,44 tonnes d’uranium pour des recettes totales de 302,8 milliards de francs CFA. Selon le site d’informations SIKA Finance citant la BCEAO, « l’uranium au Niger a enregistré une recette de 145,7 milliards de FCFA en 2020 contre 128,4 milliards de FCFA en 2019. » Très loin encore des 5 504 milliards par an comme l’affirme cette publication sur Facebook.
Bien que les chiffres avancés dans la publication soient surréalistes, elle a été largement relayée et la majorité des commentaires sont des réactions d’indignation, d’adhésion à la thèse de la publication, sans aucune remise en question. Pourtant, même ceux qui ont relayé la publication dans les premières heures sont incapables de dire d’où ils la tiennent ou encore d’expliquer sur quoi se base les chiffres qu’ils avancent. Des éléments qui amènent à s’interroger sur l’objectif de ce genre de la publication que, grâce à cette vérification, nous sommes en mesure de qualifier de mensongère. Ce mensonge est-il pour autant intentionnel, volontaire ?
A la lumière de cette vérification, chacun pourrait se faire une opinion sur le caractère intentionnel ou non de cette publication mensongère.
Traoré Bakary