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Côte d’Ivoire sans mercure : état des lieux et actions à mener

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Au moment où certains produits contenant du mercure doivent être interdits, il est urgent pour la Côte d’Ivoire de mettre en place une stratégie nationale. Des mesures préalables s’imposent pour promouvoir les produits alternatifs.

La Convention de Minamata sur le mercure adoptée en 2013 par tous les États membres des Nations Unies, est claire en son article 4. Les signataires, dont la Côte d’Ivoire, doivent prendre les mesures appropriées, pour que les produits contenant du mercure ajouté – figurant dans la première partie de l’Annexe A – ne soit plus fabriqués, importés ou exportés après la date d’abandon définitive fixée pour ces produits, sauf en cas d’exclusion spécifiée ou de dérogation.

Au nombre de ces produits, auxquels on a ajouté intentionnellement du mercure ou un composé du mercure (listés à l’annexe A de la convention), on peut noter les piles boutons (qui ne seront plus autorisées à partir de 2020), les thermomètres, les produits cosmétiques contenant du mercure, les antiseptiques contenant du mercure, les lampes à mercure et les amalgames dentaires dont les mesures d’élimination progressive sont demandées dès la ratification de la Convention.

« Si aujourd’hui la Côte d’Ivoire décide d’interdire les produits à mercure comme les piles à mercure, les amalgames dentaires et même les produits cosmétiques qui contiennent du mercure, cela ne va pas affecter ses populations, ni son économie vu que des alternatives disponibles, abordables et efficaces existent », estime Dominique Bally KPOKRO, Directeur des Programmes à l’ONG Jeunes Volontaires pour l’Environnement (JVE) Côte d’Ivoire.

Il y a en effet des produits alternatifs ou de substitution à l’amalgame dentaire tels le Ciment Verre Ionomère (CVI) et la résine de verre composite pour remplacer l’amalgame dentaire dans les soins d’obturation dentaire. L’annexe A de la Convention de Minamata encourage la mise en place de polices d’assurance et de programmes qui favorisent l’utilisation de matériaux de restauration dentaire de qualité sans mercure et aussi une réforme des programmes d’enseignement dans les écoles de dentisterie afin de former les professionnels du secteur et les dentistes à l’utilisation de matériaux alternatifs et à la promotion des meilleures pratiques de gestion des déchets d’amalgames.

Tout part d’une volonté politique

C’est donc à l’État de Côte d’Ivoire de prendre des décisions courageuses à commencer par la ratification de la Convention de Minamata.

« Quand on va appliquer l’accord, il faut qu’on abandonne progressivement les vieilles pratiques pour aller vers les nouvelles pratiques. Cela demande de la formation, l’élaboration des projets allant dans le sens de la mise en œuvre de la Convention, l’obtention de moyens nécessaires pour ladite mise en œuvre », fait observer le Pr Georges Kouadio, Directeur Général de l’Environnement.

Les rejets de mercure (sous quelque forme qu’ils soient) ont un impact sur la santé des populations et sur l’environnement. Les opérations de réduction voire d’élimination particulièrement dans toutes les activités ou même dans les sites d’extraction minière et de transformation artisanale et à petite échelle d’or, ou encore dans les zones environnantes des sites d’orpaillage, doivent aussi être contrôlées afin de réduire toute contamination. Les initiatives en cours doivent être encouragées par les autorités.

« Actuellement, nous sommes en train d’aider ces orpailleurs qui sont déjà en groupement coopératifs à sortir de l’informel enfin qu’ils puissent travailler dans la légalité », assure Franck Michael Yoboué N’Guessan, de la Société Coopérative Minière de Côte d’Ivoire (SCOOMICI).

La SCOOMICI est un groupement qui réunit plus de 1.000 orpailleurs sur l’ensemble du territoire Ivoirien. Cette organisation soutient qu’elle travaille avec des méthodes qui n’utilisent pas le mercure et essaie de sensibiliser et de former ses membres à ces bonnes pratiques. Surtout que les spécialistes soulignent que les techniques d’extraction sans mercure permettent de recouvrer plus 90% de l’or dans le minerais alors qu’actuellement, le broyage tel qu’il est pratiqué par les orpailleurs qui utilisent du mercure, ne permet qu’un taux de récupération de 60%. Sans compter l’impact sur leur santé et l’environnement.

Dr Vénance Say, Coordonnateur du Programme national de gestion des produits chimiques souligne que lorsque le Plan d’action national sera élaboré, les actions prioritaires à mener seront surtout la sensibilisation des orpailleurs sur les dangers de l’utilisation du mercure qui est un produit « très toxique » pour la santé humaine et l’environnement. Il sera aussi question de la prise en charge sanitaire des personnes affectées et de la restauration des sites contaminés. Dr Vénance Say estime que « tant que ce secteur n’est pas formalisé, on ne pourra pas les (orpailleurs, ndlr) identifier ». Il faut donc formaliser le secteur de l’orpaillage avant de passer à l’identification des orpailleurs.

Le mercure omniprésent

Le secteur de la dentisterie toujours impacté par le mercure

En tout cas, une édifiante étude menée par l’ONG JVE Côte d’Ivoire intitulée « État des lieux de la situation des produits contenant du mercure ajouté » datant de 2016 a fait ressortir les quantités de mercure entrées en Côte d’Ivoire et les sources ou les pays d’approvisionnement. En 2014, plus de 1.202 Kg de mercure ont été quantifiés dans les piles à oxyde de mercure contre 142 Kg en 2015. En 2014, quelques 120.086 particuliers et 211 entreprises ont importé des piles à oxyde de mercure en provenance du Burkina Faso (47%), de la Belgique (26%) et de la France (21%). En 2015, 90% des importations de mercure ont été enregistrée au nom de particuliers dont 33% provenait du Burkina Faso et de la Belgique, et 27% de la France. Les quantités de mercure quantifiées dans les amalgames dentaires en 2014 sont de 1.296 Kg. Dans l’orpaillage, au moins 2.300 Kg de mercure ont été utilisé sur le territoire ivoirien en 2016.

« Le constat est que le mercure est beaucoup utilisé sur l’ensemble des sites (d’orpaillage, ndlr) », fait observer Agbri Lako, consultant pour l’élaboration du Plan d’action national (PAN).

Malgré le déguerpissement initié dans le cadre du Programme national de rationalisation de l’orpaillage (PNRO) lancé en 2014, les clandestins recolonisent à nouveau certains sites.

« Quand les orpailleurs reviennent ils ont peur. Sur certains sites, c’est un travail de nuit qu’ils font et ils repartent. Pour d’autres, quand ils voient qu’il n’y a pas du tout de suivi, ils campent sur les sites. C’est un jeu de cache-cache en quelque sorte. C’est dire que l’Etat doit mettre les moyens pour suivre véritablement la rationalisation dans ce secteur », explique M. Agbri.

Lorsque les orpailleurs clandestins reviennent sur les sites d’où ils ont été déguerpis, c’est aussi les élèves qu’ils entraînent sur les sites illégaux. Ces derniers abandonnent donc les salles de classe pour s’adonner aux activités des mines artisanales au risque de leurs vies. Jadis utilisés pour les activités de ramassage de gravats, les enfants sont de plus en plus utilisés à l’intérieur des tunnels pour les activités de creusage. C’est ce qui a été constaté par exemple sur un site près de Kocoumbo dans le centre de la Côte d’Ivoire. A 10 heures (heure de la récréation dans les écoles), les élèves profitent de la pause pour déserter l’école. Lorsque la cloche retentie pour la reprise des cours, plus personne ne revient !

Trafic illicite du mercure dans l’orpaillage

C’est d’ailleurs dans le secteur de l’orpaillage que le trafic illicite prend de l’ampleur.

« Nous avons constaté que du mercure qui provient par exemple des thermomètres est récupéré – puisque les thermomètres à mercure sont en train d’être substitués par des thermomètres électroniques. Les thermomètres sont récupérés pour l’extraction du mercure », révèle Dominique Bally. « Je ne dis pas que les dentistes sont allés vendre du mercure aux orpailleurs mais nous avons trouvé des flacons de mercure destinés à la dentisterie sur des sites d’orpaillage », ajoute-t-il.

Il faut donc une stratégie pour prévenir le détournement de mercure ou de composés du mercure particulièrement pour leur utilisation dans l’extraction minière artisanales et à petite échelle de l’or. La question du contrôle du commerce et des flux de mercure entrant en Côte d’Ivoire doit être traitée. L’étude de la Banque mondiale intitulée « Etude du commerce et des flux de mercure en Afrique Subsaharienne » réalisée en 2016 montre que d’importantes quantités de mercure entrent dans les pays clandestinement par la voie terrestre.

La lutte contre le trafic illicite du mercure doit s’intensifier

Au niveau de l’Afrique subsaharienne, le mercure a trois portes d’entrée : le Nigeria, le Togo et le Ghana. Le mercure qui passe par le Nigeria est utilisé dans le nord du Nigeria. Une infime partie est utilisée au Niger et au Bénin. Le mercure qui rentre par les ports de Lomé (Togo) et de Tema (Ghana) atterrit au Burkina Faso par des « voies détournées ». Et c’est à partir du pays des hommes intègres qu’il est disséminé en Afrique de l’ouest. Les orpailleurs en Côte d’Ivoire ou leurs intermédiaires s’approvisionnent auprès de grossistes au Burkina Faso.

Aujourd’hui plus que jamais, il est indispensable pour la Côte d’Ivoire de commencer par ratifier la Convention de Minamata sur le mercure qu’elle a signée depuis Octobre 2013. Ensuite finaliser son Plan d’action national pour la réduction voire l’élimination du mercure dans l’orpaillage, mais surtout élaborer et mettre en œuvre des mesures pour une gestion écologiquement rationnelle du mercure et des produits qui en contiennent. Pour atteindre cet objectif, plusieurs parties prenantes dont les ONG telles JVE Côte d’Ivoire sont prêtes à œuvrer pour la mise en œuvre des stratégies d’élimination.

Anderson Diédri

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