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Nouvelle loi sur la presse : Bruno Koné et son cabinet peinent à défendre le projet

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Face à la controverse que suscite la réforme du gouvernement, l’Union nationale des blogueurs de Côte d’Ivoire (UNBCI) a voulu lancer le débat autour de la nouvelle loi sur la presse qui défraie la chronique. « Amendements de la loi sur la presse : quels enjeux/impacts pour les blogueurs et activistes ? ». C’est le thème de la conférence qui a eu lieu le vendredi 19 mai 2017 entre 17 heures et 20 heures au Pavillon Latrille aux Deux-Plateaux.

Ainsi, après les propos liminaires des panélistes que sont Guillaume Gbato (Secrétaire général du Syndicat national des agents de la presse privée de Côte d’Ivoire), Christophe Kouamé (président de CIVIS-Côte d’Ivoire) et Eric Aimé Semien (président de l’OIDH) – le président du Front populaire ivoirien (FPI) Pascal Affi N’Guessan s’étant désisté à la dernière minute – André Apété, le directeur de cabinet du ministre de la communication, de l’économie numérique et de la poste et Coulibaly Ibrahim, le directeur des affaires juridiques et de la coopération internationales, tous deux assis dans l’assistance comme de simples invités, réagissent. Et ce, pendant près de 25 minutes pour défendre la pertinente de la nouvelle loi alors que le ministère de la communication a refusé d’être panéliste.

 « J’ai essayé de prendre différents pays : la France, la Suisse, la Belgique. Vous savez pourquoi j’ai pris ces pays-là ? Parce que ce sont ceux qui sont qualifiés de pays de liberté. Et je suis allé voir que disent les lois de ces pays-là et je les ai mis en rapport avec tous les points de cette loi. Je vous dis qu’ils sont pires. Là où des lois de ce pays, heureusement ou malheureusement, prescrivent en cas de manquement un à cinq ans de prison, ces lois-là prescrivent parfois jusqu’à la perpétuité, prescrivent des amendes de plus de 30 millions de francs Cfa. En France c’est comme ça. En Suisse c’est comme ça », se défend André Apété.

Le directeur de cabinet du ministre Bruno Koné poursuit sur sa lancée : « la proposition qui a été faite par les personnes qui l’ont faite en son temps est une loi de progrès contrairement à ce que vous dites et une loi qui est beaucoup plus avancée que toutes les lois qui sont en France, aux Etats-Unis, en Suisse. Et je mets moi-même au défi de trouver des éléments de droit des lois sur la presse de ces pays qui soient plus avancés que la loi ivoirienne ».

Alors que les journalistes pointent une loi liberticide qui remet en cause la loi de 2004 qui dépénalise les délits de presse, Coulibaly Ibrahim son vient appuyer les propos du directeur de cabinet. « Est-ce que c’est une incongruité dans un Etat de droit que d’envisager qu’un journaliste puisse aller en prison ? », questionne le juriste du ministère de la communication. Une réaction qui provoque une levée de boucliers dans la salle. Mais cela est loin d’infléchir son argumentation. « Pour qu’un journaliste soit inquiété par ce texte-là, c’est qu’il ne fait pas son travail. Un journaliste qui est sérieux n’a pas à être inquiété », tance-t-il.

Mais un débat houleux va s’engager quand Guillaume Gbato prend la parole plusieurs minutes après. « Quand on a fini d’écouter le directeur de cabinet et son directeur des affaires juridiques, on se dit la Côte d’Ivoire c’est un paradis. Nous autres on n’a plus rien à faire ici. Tout est tellement beau, bien, dans le meilleur des mondes qu’on n’a plus rien à faire ici. Il a parcouru les textes de la Suisse, de la Belgique, de la France, et il a constaté que la Côte d’Ivoire aurait une meilleure situation que la Suisse, la France et la Belgique », rappelle le journaliste. Mais il n’en fallait pas plus pour que le directeur de cabinet interrompe aussitôt le syndicaliste.

« Ce n’est pas ce que j’ai dit », glisse André Apété. Riposte immédiate du Secrétaire général du Synapp-CI : « M. le directeur de cabinet, vous ne pouvez pas me convaincre que la Côte d’Ivoire, en matière de liberté publique, est un pays mieux que la Belgique, la Suisse et la France ». Une discussion s’engage et ce proche collaborateur du ministre Bruno Koné se lève de son siège et avance vers les panélistes. Dans le tohu-bohu qui s’en suit, il se défend et maintient son propos. « En matière de loi sur la presse, la loi française est en recul par rapport au projet de loi… », insiste André Apété.

Face à l’ambiance électrique qui prévaut dans la salle, les organisateurs tentent de calmer les esprits. Mais Guillaume Gbato veut aussi faire valoir ses arguments. « Le directeur de cabinet et son directeur des affaires juridiques ont eu largement le temps de nous porter la contradiction, permettez aussi qu’on puisse relever un certain nombre de choses qu’ils ont dites et qui à notre sens ne sont pas bonnes. Et je dis et je maintiens, que M. le directeur de cabinet, si on vous écoute, la Côte d’Ivoire serait un pays merveilleux où il fait tellement bon vivre pour les professionnels des médias qu’en Belgique, en Suisse et en France », déclare-t-il, incisif.

« Tout à l’heure, le directeur des affaires juridiques a dit, ne préjugeons pas de la mauvaise foi de nos juges. M. le directeur des affaires juridiques, M. le directeur de cabinet, vous vivez en Côte d’Ivoire, votre pays. Il n’y a même pas quatre mois, six de nos confrères ont été arrêtés et gardés au camp de gendarmerie d’Agban. Dans aucun des pays que vous avez cité on a vu ça ces dix dernières années », charge Guillaume Gbato.

Le directeur de cabinet et le directeur des affaires juridiques coupent encore le journaliste. « Si on ne peut pas parler, c’est que nous n’avons rien à faire ici », s’insurge le Secrétaire général du Synapp-CI. Pour faire baisser la tension, Daouda Coulibaly, le modérateur de la conférence, est obligé de monter au créneau pour interpeller les représentants du ministère de la communication. « S’il vous plait, laissez-le finir. Je pense qu’on vous a donné assez de temps pour vous exprimer. S’il vous plait, écoutez-moi au moins. Vous êtes venus, on vous a donné la parole longuement pour que vous puissiez vous exprimer. Je souhaiterais que par respect pour nous aussi, même si nous sommes jeunes, laissez-le au moins s’exprimer. Après, vous pourrez prendre la parole pour continuer », plaide le journaliste-blogueur.

Mais avant Guillaume Gbato, Eric Aimé Semien a tenu à faire quelques précisions. « M. le directeur de cabinet, vous avez dit que vous auriez aimé voir la copie de ce projet de loi si c’était la société civile ou les journalistes qui l’avaient fait. Oui, justement on ne peut pas parler le même langage (…) Ceux qui font les lois, ceux qui votent les lois, ils le font en vertu du mandat que nous leur avons donné. Si les députés font consciencieusement leur travail, si les députés sont avertis, formés, avisés, ils vont parler réellement en fonction du peuple et non pas forcément pour les chapelles politiques auxquelles ils appartiennent (…) Donc ce débat que nous faisons, acceptez également de nous écouter autant que nous vous écoutons », déclare le président de l’Observatoire ivoirien des droits de l’homme (OIDH). Quant à la réaction du directeur des affaires juridiques sur le droit à l’oubli contenu dans le projet de loi, ce militant de la société civile est circonspect.

« Le droit à l’oubli, moi j’ai un problème avec ça. J’ai un problème parce que vous ne pouvez pas m’obligé à oublier. Parce que si on dit l’effet de la prescription est que la république semble avoir accordé un certain pardon aux crimes, ça signifie simplement qu’on ne peut pas poursuivre en justice, ça ne veut pas dire qu’on ne doit plus en parler, ça ne veut pas dire que vous devez tordre le coup à l’histoire », explique Eric Aimé Semien.

Mais Coulibaly Ibrahim l’interrompt, juge son explication « flou » et lui demande des exemples « précis » pour étayer son argumentaire. Droit dans ses bottes, le président de l’OIDH poursuit : « je dis simplement, un article d’un projet de loi comme celui-là ne peut pas demander qu’on ne parle plus de faits après qu’un certain délai se soit écoulé. C’est ce qui de notre point de vue pose un problème de sens. Dix ans ça répond à quoi ? Pourquoi avoir choisi dix ans ? Pourquoi pas 3 ans, 5 ans, 20 ans, 100 ans ? Dix ans, ça correspondrait à quoi ? Et le journaliste, il a le droit quand même de faire des dossiers, de faire son information pour la postérité. Maintenant quand on dit après on ne peut pas en parler… Les exemples, ça je sais que vous-même vous en avez. Ce n’est pas à moi de vous donner des exemples ».

Pour sa part, le Dr Christophe Kouamé a relevé que le projet de loi sur la presse renferme 26 articles consacrés à la régulation, 18 articles qui parlent des dispositions pénales, 7 articles qui parlent des sanctions pécuniaires pour les entreprises de presse et 2 articles qui traitent des aides publiques à la presse. S’il note quelques avancées, il souligne des dispositions qui posent problème. Par exemple, fait observer Christophe Kouamé, « l’article 19 de la constitution de la 3ème république est violé par la loi sur la presse ». Selon lui, « à la lecture de certaines dispositions restrictives des libertés fondamentales, il est impératif que le législateur procède à des amendements qualitatifs de ces dispositions ».

La conférence, qui a été à un moment électrique, s’est achevée dans le calme et la sérénité. Mais il faut préciser que le directeur de cabinet et directeur des affaires juridiques ont quitté la conférence avant son terme.

Anderson Diédri

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